Le travail chasse l'ennui

Feat Nuage d'Eucalyptus et Nuage de l'Aube

Le soleil de midi semblait déjà très haut dans le ciel au-dessus des grands pins de la pinède du Clan de l'Ombre, et pourtant sous ses hautes branches au parfum vivifiant, il y faisait très, très sombre comme si la nuit était à nos pattes. Je levais mon museau tacheté en l'air, seulement pour être aveuglé par la lumière vive de l'astre de feu, chaud et brillant, qui parvenait difficilement jusqu'à notre campement. Plus la saison des feuilles vertes avançait, plus les éclaircies lumineuses se faisaient rares et mon clan commençait sérieusement à sombrer dans une espèce de folie tel une vicieuse maladie. Les guerriers devenaient bougons. Ils trainaient de la patte et oubliaient même parfois d'emmener leur apprenti à la chasse ou en patrouille. Le tas de gibier s'affaiblissait. Il ne devait plus rester grand chose à manger. Je me levais et m'éloignais de ma tanière en claudiquant sur trois, parfois même quatre pattes, jusqu'à la réserve. J'avais vu juste ! Elle était pratiquement vide avec seulement deux ou trois prises bientôt rances et pleine d'asticots. À première vue, elles semblaient encore fraîches, mais un guerrier censé y sentirait immédiatement la menace, un apprenti aussi. Je devais donc m'activer. Je saisis délicatement les quelques pièces de viande entre mes crocs en faisant bien attention de ne pas les mordre trop fort et en faire sortir leurs locataires indésirables. Je m'apprêtais à aller les jeter hors du camp pour les enterrer lorsque deux jeunes boules de poils apparurent à mes côtés. Un mâle écaille et une femelle rousse claire. Il s'agissait de Nuage d'Eucalyptus et Nuage de l'Aube qui devaient sans aucun doute avoir très faim. Je lâchais les proies en putréfaction devant mes pattes et m'empressais de leur apprendre la mauvaise nouvelle avant qu'ils ne se jettent comme deux blaireaux sur cet chair à corbeau devant moi :

« - Je suis désolé vous deux. La réserve est vide. Je m'apprêtais à me débarrasser de ces proies-là dehors. Elles sont pleines d'asticots. Vous devriez vous trouver chacun un guerrier pour aller chasser le temps que moi et Lumière de Sang formions les patrouilles de midi. » leur dis-je doucement.

Les deux apprentis semblaient ne pas trop comprendre mes paroles, mais je n'avais pas le temps de rester là à leur expliquer la situation. C'était un état d'urgence car les reines et leurs petits n'avaient rien à manger pour le moment. Je pris à nouveau mon butin de proies passé date dans ma gueule, puis je m'éloignais rapidement en direction de la sortie du cercle de pierres. Une fois dehors, je continuais encore de quelques pas dans la pinède et sous un grand pin vieillissant, j'enterrais les vieilles pièces de gibier pourries avant de retourner au camp pour m'assurer de la formation des patrouilles avec ma lieutenante ; Lumière de Sang.

© ASHLING DE LIBRE GRAPH'