Ça y est! Ce cauchemar prendrait finalement fin. C’était fini pour de bon. Ce rêve sordide avait trop duré. Les conséquences avaient été désastreuses; de nombreux blessés et des morts dénombré au nombre de trois. Ange des Sables du Clan du Vent, Forêt Lunaire et Plume Sombre du Clan de la Rivière. Jusqu’à preuve du contraire, nous n’avions connu aucune perte, mais l’un de nos guerriers erraient entre la vie et la mort, plongé dans un profond coma depuis la bataille, c’est-à-dire un quart de lune. Sa silhouette s’était amaigris, ses muscles avait presque fondu comme neige au soleil, lui donnant un air de cadavre en décomposition. Fleur du Destin et Nuage de Lin faisaient toutes deux de leur mieux pour le maintenir en vie, mais on commençait tous à ressentir le désespoir de le voir nous quitter si tôt. Masque du Trèfle reposait encore dans la tanière de la guérisseuse, cette même tanière où j’étais posté à l’entrée pour sentir une légère brise sur mon visage. Depuis la bataille, j’étais resté moi aussi confiné dans l’enceinte du camp, dans la tanière des guérisseuses à ne manger, boire et dormir. Je n’avais ni le droit de chasser, ni le droit de sortir, à part aujourd’hui. Je prenais soin de ne pas mettre tout mon poids sur ma patte qui finissait de se rétablir peu à peu quand Étoile de Nénuphar annonça son départ. Le Clan de la Rivière quitterait nos terres définitivement. Ils retourneraient tous chez eux où ils pourraient vivre de nouveau en clan indépendant. Les deux clans se firent leur adieu. Tonnerre et Rivière, guerrier et apprenti, même les reines et leurs chatons versèrent quelques larmes. De nombreuses liaisons c’était créer pendant leur séjour parmi nous. Une alliance n’est jamais bon signe. Étais-je le seul à ne pas me réjouir de leur départ? J'en avais bien peur.

« - Tu ne viens pas saluer le Clan de la Rivière? » miaula Fleur du Destin en prenant place à mes côtés, sa queue frôlant le bas de mes reins et son regard bleu limpide me fixant avec interrogation.

« - Non. Ce n'est pas la peine. » lui répondis-je froidement, sans transmettre la moindre émotion. « - Plus vite ils partiront, plus vite nous pourrons reprendre nos activités quotidiennes. »

La rouquine sembla vexée, mais n’était-elle pas assez censé pour comprendre mon opinion? N’est-elle pas assez vieille pour savoir que jamais je ne porterais un membre d’un autre clan dans mon cœur? À part peut-être… enfin bref.

« - Mais qu'est-ce que tu peux être rabat-joie! » me tança t’elle en relevant légèrement le menton d’une manière faussement hautaine. « - En tout cas, moi j'y vais. Je dois m'assurer que tout le monde tiendras le voyage de retour vu la mort de Plume Sombre. » Conclut-elle en s’éloignant, la queue ondulante comme celle d’un serpent pour rejoindre Étoile de Nénuphar qu’elle salua amicalement.

Idiote. Comment peut-elle mettre ses aptitudes au profit de l’ennemi? Ce n’est pas notre faute si les guerriers du Clan de la Rivière sont aussi lâches, qu’ils ne peuvent à peine surveiller leurs arrières et ceux de leur compatriote. Leur guérisseur n’est pas mort pour rien. Un grand matou roux croisa mon regard. Je reconnus sans peine Cœur du Temps, le lieutenant ennemi. Même si nous avions partagé les mêmes terres, le même camp, le même gibier, le même air, le même espace et la même tanière pour près d’une lune, jamais je ne considérerais ces félins comme mes amis. Jamais. Il me toisa durement, comme s’il avait deviné ou même lut le fond de ma pensé. Normal qu’on me méprisait à ce point, vu que je ne prenais part à aucun au revoir. Je préfère rester loin, à l’écart de ces scènes pleines d’émotions futiles. Je croisai le regard de plusieurs autres guerriers dont Esprit des Songes, Douce Brise, Chant du Matin et Nuage de Soleil. J’entrevis même la fourrure marbrée de Nuage de Saule aux côtés de sa sœur, mais jamais je ne vis son regard jade car elle avait la tête tournée dans l’autre sens pour fixer une guerrière argentée du nom de Rivière d’Argent. Elle je pouvais apercevoir son regard, terne, sans lumière ni vie, comme si son âme avait quitté son corps. J’avais cru comprendre que Forêt Lunaire était son compagnon. Oh comme je ne voudrais pas me retrouver dans sa situation, sans Éclat de Rose. Justement, où est-elle encore passé? Mon regard plana sur la clairière et je la vis enfin, assise auprès d’Étoile Merveilleuse et du promontoire. Tempête de Sable se trouvait non loin, accompagné de Requiem Oublié et Méandre des Enfers. Ces derniers ne semblaient pas prendre part eux non plus à l’adieu. Ils ressemblaient à de vrai rocher posté ainsi de chaque côté de la rouquine. On aurait dit la garde personnelle de la guerrière qui avait aussi mauvaise mine que son compagnon. Je fermai les yeux un instant, pensant qu’en les rouvrant tout serais redevenue à la normal quand une voix se fit pressante à mes côtés.

« - Cesse de rêvasser! Si tu as sommeil, je te conseille d’aller t’étendre à l’intérieur! »

Mais voyons! Quel mouche l’a piqué celle-là! Nuage de Lin avait la fourrure toute hérissé et elle me fixait froidement avec une haine que je ne comprenais pas.

« - Pas question! Je sortirais cet après-midi que Fleur du Destin le veuille ou non, j’irai entraîner mon apprenti au combat. » Pestai-je pour qu’elle me foute la paix.

« - Elle ne te laissera pas faire! » s’interposa-t-elle.

« - Mais fiche moi la paix Nuage de Lin! » feulai-je en la repoussant de ma patte blessée, ce qui me fit légèrement grimacer.

« - Tu vois. Tu n’es pas tout à fait encore rétablie. »

« - Nuage de Lin. Ça suffit. Laisse Nocturne des Océans se reposer tranquille. » Débarqua Fleur du Destin qui venait sans doute s’approvisionner en herbes.

« - Écoute ton mentor gamine. » ironisai-je en posant un regard mesquin sur elle.
Elle me répondit par une grimace que je lui rendis aussitôt.

« - Mais ce n’est pas fini! » grommela Fleur du Destin en nous toisant tous les deux. « - Deux vrais chatons vous deux. » miaula t’elle en nous séparant de son corps. « - Allez Nuage de Lin, va porter ces herbes à Esprit des Songes, il en aura besoin pour le voyage. » demanda t’elle gentiment à son apprentie avant de se tourner vers moi. « - Quant à toi Nocturne des Océans, fais-moi voir cette patte que je puisse savoir si tu as droit à ton congé ou pas. »

J’obéis donc sans faire d’histoire, même si je savais déjà que j’allais beaucoup mieux. Fleur du Destin examina ma patte avec attention, me demandant de mettre peu à peu mon poids sur celle-ci, mais la douleur cuisante qui m’élançait jusque dans l’épaule faillit m’arracher une plainte. Je me retenais. Je ne voulais pas avoir à rester immobile plus longtemps, être inutile au clan.

« - Ça me parait aller beaucoup mieux, mais je garderai un œil sur toi. Évite la chasse et les combats encore pour quelques jours et si jamais tu ressens de la douleur reviens me voir. »

« - Merci Fleur du Destin. » ronronnai-je avant de me lever et ENFIN quitté sa tanière.

J’attendis qu’elle ait le dos tourné pour aller trouver mon apprenti qui se prélassait au soleil en compagnie de Nuage de Sucre près de la tanière des guerriers.

« - Nuage Ténébreux, viens on part s’entraîner à la combe. » lui ordonnai-je en le pressant de me suivre.

Je jetai des regards inquiets aux alentours, pensant que quelqu’un me verrais partir et irais prévenir la guérisseuse, mais tout le monde était occupé ailleurs.

« - Passons par le petit coin, je ne voudrais pas que l’on sente encore le poisson pour des lunes à venir. »

Je tournai les talons, m’enfonçant dans les broussailles, l’apprenti noir à mes trousses, sont expressions surpris toujours inscrit sur son visage.

Une fois sortit du camp, je filai sans hésiter tout droit en direction de l'arbre aux chouettes comme si l'une de ses créatures ailées me pourchassait en hululant à tue-tête. Heureusement, ce n'était pas ça le problème. Je voulais rester le moins longtemps possible près du camp, afin d'éviter que l'on remarque mon absence en ses murs et qu'on me force à y retourner contre mon gré. Je ne pouvais plus passer mes journées à ne rien faire. Je suis un guerrier, plus un chaton, ni une reine qui doit s'occuper de ses petits, et même encore ces deux-là ont bien d'autres occupations que de se prélasser dans un vieux nid qui empeste les herbes médicinaux. Je bifurquais alors vers la combe sablonneuse, passant proche me heurter l'épaule contre un buisson de ronce quand je décidai de jeter un bref coup d’œil en arrière pour voir si Nuage Ténébreux me suivait toujours. Je fut assez surpris de le voir me talonner à moins d'une demi-queue de renard, son haleine chaude effleurant mes griffes. Ce jeune mâle avait beaucoup grandit depuis le tout début de notre entraînement, il était désormais presque aussi grand que... qu'un guerrier. J'ai failli dire que moi, mais avoir insinuer ce détail aurait relever du mensonge. Personne me m'égale en taille. Mes pattes longues et musclées n'ont étrangement rien à voir avec ceux des autres félins du Clan du Tonnerre, tout comme mes oreilles et mon crâne triangulaire. Nous arrivâmes finalement à la combe déserte, aucun duo guerrier/apprenti ne l'occupait déjà et nous serions sans doute les seul pour toute la journée car le ciel s'était couvert d'un épais tapis de nuage sombre et menaçant. Une tempête approchait. Je m'arrêtai, chancelant un peu sur le sol mouvant de la combe avant de retrouver mon équilibre. Je n'osai pas mettre trop de poids sur ma patte de peur de laisser un rictus de douleur sur mon visage. Si Nuage Ténébreux se rendait compte que ma patte n'allait pas mieux, il ne voudrait sans doute pas se battre à son meilleur contre un adversaire désavantagé.

- Nous allons commencer par un petit échauffement. miaulai-je en écrasant mon arrière-train sombre dans le sable blanc. - Je te défi de me toucher ne serais-ce qu'une seule fois.

J'omis de lui dire que je pouvais riposter à ses attaques, mais on peut aussi bien dire que je l'avais fait exprès, car nos ennemis en temps réel ne nous avertis pas de leur moindre geste avant de frappé. Il faut savoir se débrouiller, être à la fois rapide mentalement et physiquement.

Comme il faisait bon de retrouver le calme quotidien de la forêt ainsi que l'enthousiasme et la détermination de mon apprenti. Après le départ du Clan de la Rivière de nos terres, la forêt redeviendrait paisible comme aujourd'hui. Les oiseaux chanteraient, les proies fourmilleraient et les feuilles des arbres bruisseraient au gré du vent en une harmonie complète de la nature. Même un soleil radieux était au rendez-vous après ses nombreux jours sombres. Je ne peinais plus à croire qu'un avenir meilleur se profilait à l'horizon. Éclat de Rose ne tarderait plus à mettre bas, plus que quelques petits jours à patienter. Le seul espoir que nous devrions garder, devait être réservé à ce jeune guerrier estropié: Masque du Trèfle, en qui nous devions allouer toute nos prières pour que le Clan des Étoiles ne l’accueille pas parmi eux, du moins pas avant plusieurs lunes. Il était encore jeune, fort et téméraire. Le Clan du Tonnerre avait plus que jamais besoin de guerrier détenant ces qualités, surtout que moi, je ne suis pas supposé être sortit du camp, pas même de la tanière de Fleur du Destin à l'heure qu'il est. Pour avoir désobéi, je risquais fort ma réputation de guerrier le plus loyal et le plus dévoué au clan, c'est pourquoi je gardais constamment les oreilles dressés à écouter les moindres bruits de la forêt afin d'éviter de me faire prendre. Si jamais un félin osait s'aventurer par ici, je savais exactement quoi faire pour camoufler mon odeur et celle de Nuage Ténébreux. Justement, ce dernier acquiesça d'un bref hochement de tête, son regard plus déterminé que jamais. Il était prêt à accomplir n'importe quel tâche que je lui confirais. Son dévouement me fis chaud au cœur, mais une question s'insinua dans mon esprit. Allait-il me dénoncer aux autres guerriers ou encore pire à la lieutenante et à la meneuse? Je ne le croyais pas capable d'une tel trahison, mais on ne sait jamais avec les jeunes de nos jours. Il pourrait risquer de s'échapper à un autre apprenti, qui le dirait à un guerrier, qui le dirait à un autre et le mot est parti. Quel genre de rumeur partirait-ont encore à mon sujet? Je l'ignore et je n'ose même pas y penser. Nuage Ténébreux ne prend même pas la peine de s'accroupir pour se donner un élan, qu'il fonce droit sur moi. Je l'évite avec beaucoup trop de facilité et ça malgré ma patte blessée. Si il veux devenir guerrier, il va falloir qu'il fasse preuve de beaucoup plus de rapidité dans ses mouvements, mais surtout de réflexion. Il détale un peu sur le sable derrière moi, puis glisse sur le sol afin d'effectuer un volte-face avec style, mais lorsqu'il s'élance à nouveau dans ma direction, je pare son coup d'un simple coup de patte qui l'envoi rouler plus loin. Alors qu'il se relève, la truffe et la gueule emplit de sable, j'en profite pour lécher doucement ma patte blessée comme pour le taquiner, mais aussi le provoquer.

- C'est tout ce que tu sais faire? demandai-je sur un ton hautement ironique avant de croiser son regard doré du mien, bleu sombre. J'étais sûr que tu étais bien meilleur que ça. Tu ne te serais pas ramolli par hasard ou est-ce simplement l'odeur de poisson pourri du Clan de la Rivière qui t'as rendu aussi lâche qu'eux?

La haine envers ce clan s'était emparé de moi tellement vite que je n'avais même pas remarquer que j'avais osé montrer les crocs à mon apprenti. Une seconde de plus et je crois que j'aurais bien pu lui sauter à la gorge et lui faire très mal. Mon regard se figea de stupeur, mais surtout de crainte en pensant à ce que j'allais faire. Jamais je n'avais perdu autant le contrôle de mes émotions, alors pourquoi maintenant? Ma fourrure se recolla sur mes flancs à mesure que je reprenais la maîtrise de moi, mais le regard effrayé et confus de Nuage Ténébreux me fit culpabilisé. Je baissai la tête, fixant longuement mes pattes en ne comprenant pas ce qui m'arrivait, quand je sentis mon apprenti s'approcher de moi d'un pas hésitant. Il vint s'assoir près de moi, pressant presque sa fourrure contre la mienne, il me frôla d'un épaule en levant les yeux vers moi. Je ne pus croiser son regard de nouveau, pas après lui avoir cracher au visage de cette manière alors qu'il ne le méritait pas. Quel genre de père je ferais si je ne suis même pas apte à m'occuper d'un apprenti? C'est alors que je sentis sa tête se caler contre mon flanc dans un geste d'infini tendresse qui me rappelais un peu Éclat de Rose. La femelle rousse tacheté de brun était la seule chatte à savoir comment me tranquilliser. Elle me connaissait mieux que personne. En pensant à elle, mon cœur s'allégea, devenant aussi léger que les ailes d'un oiseau. Tout mes remords s'envolèrent, puis sans être vraiment maître de mes émotions, je baissai la tête pour venir lécher le dessus du crâne de mon novice comme je l'aurais fait avec ma compagne.

- Je... Je suis désolé... Je sais que mes excuses ne servent pas à grand chose dans notre condition, mais crois-moi, je suis sincère. J'en veux tellement à ces sales haleines de poissons à cause du combat récent que je me suis emporter facilement. Pardonne-moi Nuage Ténébreux, si je t'es blessé.

Ma gorge rauque émit un faible ronron qui ressemblait surement plus à un grognement. Qu'avais-je fait? Alors que je savais pertinemment que j'étais épuisé, vidé et hors de moi, j'avais décidé d'entraîner mon apprenti dans une expédition qui aurait pu lui coûter la vie, prise de mes propres pattes. Qu'aurais-je fais si je ne m'étais pas arrêté à temps? Je préfère même pas y penser.

Mon regard fixé sur le crâne sombre de mon apprenti, je cru voir de fines perles étincelantes ruisselé sur ses joues. Pleurait-il par ma faute? Lui avais-je fais peur au point qu'il n'éclate en sanglot ou il y avait une raison inconnue à cette averse d'étoiles? Je me penchai au dessus de lui, voulant lui insuffler ma présence, mon réconfort et mon soutient, quand celui-ci pencha la tête sur le côté et se cala un peu plus dans le creux de mon flanc. À ce moment, je pus voir que ce qui coulaient de ses yeux étaient de véritable larme, pas de chagrin, mais mêlé de joie et de bien être. Le fait qu'il ose me démontrer ses sentiments, même les plus enfouis, me fit chaud au cœur. Nuage Ténébreux releva la tête, son regard doré étincelant de perle argenté et sourit à son tour, d'abord timidement comme s'il craignait que je ne le gronde, puis pleinement. Il fit un pas de côté avant de me faire face, l'humidité de ses yeux avait désormais disparu, laissant place à une détermination toute nouvelle. Le novice ébène releva le menton avant de parler.

- Je crois que tu n’as pas à t’excuser, dit-il de sa voix la plus douce. Je comprends ta colère.

Puis il s’éloigna un peu, la queue dressé en panache, se retourna et prit son élan sans prévenir.

- Quoique tu fasses, je te toucherai maintenant. Ma tactique est au point. Cet échauffement a trop duré je pense. Prépare-toi!

Aussitôt ces paroles finies il bondit rapidement vers moi. J’eus à peine le temps de lever une patte pour esquiver ou riposter, qu'il passa sous celle-ci sans problème avant de faire demi-tour pour me frapper d'un coup de tête au poitrail et me plaquer au sol. C'était plutôt lâche de sa part de s’attaquer à moi dans un moment pareil, dans un instant de faiblesse, mais aussi très rusé et courageux. Sachant qu'il n'avait voulu que me prouver sa valeur, je souris faiblement en attrapant son corps musclé entre mes longues pattes comme pour jouer, puis je posai mon front contre le sien, emmêlant nos moustaches et plongeant mon regard bleuté dans le sien avec douceur.

- N’ai-je pas réussi ?

- Oh oui. Je suis fier de toi Nuage Ténébreux. Je le repoussai délicatement, me relevant avec peine: ma patte m'élançait plus que jamais, mais je gardai un air plutôt blasé sous la douleur. Tu as appris les bases et tu as su faire preuve d'une ruse incroyable, même si cela dit; tu as été un peu traître de te retourner contre moi comme ça. Ça te seras surement utile un jour. Je crois que tu es fin prêt, qu'en penses-tu? Tu es prêt à rejoindre les guerriers?

La réponse de l'apprenti tarda à venir. Au lieu de hocher la tête avec détermination comme je l'aurais espéré, Nuage Ténébreux ouvrit plutôt de grands yeux étonnés sur moi. Je compris aussitôt qu'il ne s'attendait visiblement pas à ce que je lui pose ce genre de question. Du moins, pas maintenant. Je baissai la tête, inclinant un peu les oreilles sur le côté, afin de sonder son regard doré, quand il releva lui-même brusquement la tête comme éveillé de ses songes. Le vieil apprenti croisa mon regard sombre en plissant faiblement les sourcils et s'exclama:

- Je peux aussi bien te prouver que je peux te toucher sans ruse, mais n'est-ce pas toi qui m’aie appris le jour où tu m'as appris à chasser?

Redressant les oreilles le plus droitement possible sur mon crâne, je relevai la tête amusé, inclinant un peu le menton, mais gardant mes yeux plongés dans les siens.

- C'est vrai, mais celle-ci était plutôt lâche. Ne joue pas avec les sentiments des autres, surtout ceux de ton propre clan. Cela pourrais te coûter très cher...

Je ne pus finir ma phrase. Pour quel raison, je l'ignore. Une faible voix en moi grandissait et me hurlait de me taire. Avais-je l'intention de dire quelque chose de blessant encore une fois? Je soupirai. Reprenant sur moi. Enroulant ma longue queue effilée autour de mes grandes pattes musclés, puis je poursuivit en changeant complètement de sujet.

- Bon. Maintenant que l'on sait que tes techniques de combat sont parfaite, enfin presque, mais tu apprendras très vite à les perfectionner, j'aimerais que tu partes chasser pour le clan, cette fois seul. Je ne serais pas là pour te rappeler quoi faire, alors tâche de faire preuve de maturité, je te fais confiance. Sur ce, je retourne au camp, on se rejoint là-bas au coucher du soleil.

Sans plus attendre, je me levai et fit demi-tour vers le camp. Je bondis hors de la combe, délaissant mon novice en son sein avant de disparaître dans le boisé. Ce que je ne lui avait pas dit, c'est que je le suivrais discrètement afin d'observer son savoir faire, mais ça il ne devait en aucun cas le savoir, ni s'en rendre compte. Je devais rester silencieux comme le vol gracieux d'un papillon.

Je ne m'éloignai pas trop, juste assez loin pour que mon apprenti croit vraiment que je l'abandonnai à sa quête solitaire. Pour une fois, il devait se faire confiance et cesser de constamment compter sur ses aînés. Je savais pertinemment qu'il en était capable ; qu'il ne reviendrait pas la gueule vide. Combien de proie devait-il chasser pour être admis ? Deux ou trois suffiraient amplement. C'est alors que me glissant sournoisement dans les fourrés, je pris place sur un point plus élevé de la combe sablonneuse et m'assied en enroulant ma queue autour de mes pattes. De là, je pouvais scruter le moindre de ses mouvements avec aisance et ainsi déceler ses erreurs ainsi que ses succès. Nuage Ténébreux resta immobile un long moment contre toute mes attentes. Depuis plusieurs lunes, je le formais au combat et à la chasse ; face à moi, il était déjà un jeune guerrier redoutable, mais seul, je peinais à croire qu'il n'arrivait pas à penser pour lui-même. Soudain, il agita une oreille, se retournant furtivement vers un buisson dont les feuilles du bas s'agitaient bruyamment. Une souris. Peut-être son unique chance de me montrer ce qu'il a dans le ventre. Le novice bondit alors sur sa prise sans hésitation, lui brisant la nuque d'un rapide coup de croc. Et de un. Pensai-je avec amusement. Continu comme ça et c'est dans la poche.

[Pardon si c'est court, mais pour le moment je ne peux faire mieux.]

La journée était magnifique, le soleil brillait, pas un nuage à l'horizon dans le ciel, les oiseaux chantaient le même refrain énervant, mais rien de tout ça ne me ferait oublier mon but. Je suivais mon apprenti de loin, sans qu'il ne remarque ma présence près de lui, jusqu'à la rivière. Nuage Ténébreux s'y arrêta pour se désaltérer. C'est alors que je me rendis compte que moi aussi j'aurais grand besoin d'une bonne goulée d'eau fraîche. Ma langue était pâteuse au point de me donner la nausée. Déçu de ne pas pouvoir faire cet arrêt à mon tour, je poursuivis ma filature en longeant les berges jusqu'aux rochers du soleil où le jeune matou sombre se plaça immédiatement en position de chasse. Je levai le museau, humant le vent, quand un faible couinement de détresse attira de nouveau mon attention sur mon apprenti qui relevai la tête, une souris dodue coincée entre ses mâchoires. Impressionnant. Je n'avais même pas senti l'ombre de ce rongeur. Peut-être parce que j'étais trop loin des pierres chauffées par l'astre du jour. Je tentais de m'en convaincre. Nuage Ténébreux attrapai par la suite un oiseau et une musaraigne. Cette dernière me fit grimacer. Ne sait-il pas que ces bestioles ont très mauvais goût et peuvent occasionner de terrible mal de ventre ? J'étais sûr de lui en avoir parler, mais bon. Je verrais ça plus tard, pour l'instant je marchai dans ses pas, dos au vent. Le novice retourna à la combe sablonneuse, déterrant sa proie et l'ajouta à son tas de gibier avant de poursuivre sa route vers le camp. Arrivé près du campement, avant même qu'il n'entre dans le tunnel, j'intervins.

- Bien ! J'en espérais pas moins de toi, Nuage Ténébreux. Tu es enfin prêt, j'en ai la certitude. Étoile Merveilleuse sera enchantée de l'apprendre.

Incapable de contrôler mon regard, je fixai la musaraigne avec dégoût. Puis d'un balancement de la queue, je lui ordonnai sans prendre un ton trop autoritaire :

- Et débarrasse-nous de cette musaraigne. Elles ont mauvais goût et donneront des crampes intestinales à plusieurs d'entre-nous. N'oublie pas de ne plus jamais en attraper, compris ! Sur ce, je rentres avant qu'on ne remarque mon absence.

Sur ces dernières paroles, je fis demi-tour, me dirigeant vers le petit coin que je traversai sans peine avant de rejoindre la tanière de Fleur du Destin où je dérobai une boule de mousse que je mâchouillais pour en extraire le jus, puis me couchai.

J'étais sur le point de m'endormir. Je me sentais faiblir tel un être errant parmi l'épaisse brume poussiéreuse d'étoile du monde des rêves. Perdu, mais bien vivant. J'entendais ma respiration profonde, mes battements de cœur aux ralentis, puis le silence. Ce même silence inquiétant qui vous ronge de l'intérieur dans l'ombre jusqu'à ce que la lumière soit. Au loin, une lueur m'apparut en songe et disparut presque aussitôt quand une voix m'appela doucement hors de mon sommeil.

- Puis-je te confier quelque chose ? demandait-elle ou plutôt il car il s'agissait d'un jeune mâle que je connaissais que trop bien, enfin c'est ce que je pensais.

Sans ouvrir un seul œil, j'écoutais attentivement les moindres bruits des alentours. Ma respiration, mes battements de cœur, les pas de l'apprenti, sa respiration, ses battements de cœur et sa voix peu assurée. Celui-ci s'approcha de mon nid en gardant tout de même une bonne distance entre nous deux, puis poursuivit :

- Tout à l'heure, quand j'ai commencé à pleurer, ce n'était pas une ruse. J'ai pleuré pour de vrai. Pourquoi ? Parce que j'ai enfin senti que j'avais une famille. Tu veux la vérité ? Tu m'as donné un sentiment que je croyais abandonné, perdu à jamais. Tu m'as donné de l'amour. Quand je m'entraînais avec toi, je ne sentais pas que j'avais un mentor, mais un père. J'ai senti quelque chose dans mon cœur, tellement ténébreux que ça a fini par exploser et de donner de la lumière. Je crois que c'est ça l'amour. Je viens ici pour t'exprimer même si j'aurais pu le faire tout à l'heure. Je n'avais pas l'audace. Mais je te le dirai maintenant. s’exprimait avec peine Nuage Ténébreux.

Étrangement, ces paroles me firent chaud au cœur. Moi-aussi j'avais eu l'impression d'avoir un fils à travers lui. J'en étais fier. Aussi fier que peut l'être un père pour son fils qui devient enfin guerrier. J'ouvris les yeux, me relevant doucement. En faisant volte-face, j’aperçus ses larmes dans son regard doré, sincère et de joie qui me firent fondre à mon tour. Mes yeux se mouillèrent, mais je tint bon. En m'approchant du novice, celui-ci me murmura et je ne pus que lui répondre en croisant son regard du mien :

- Merci.

- De rien.