Tu t'emmerdais. Autant le dire clairement. Tu étais confiné au camp car c'était à toi de t'occuper des Anciens, mais bien sûr tu ne l'avais pas fait. À la place tu préférais encore t'ennuyer à ne rien faire. Jusqu'à ce que, un peu plus loin dans le ravin, tu remarquas un buisson de bardanes. Ces petites boules pleines d'épines... Une idée machiavélique te traversas l'esprit. De tes crocs blancs, tranchants, tu découpas quelques fruits de l'arbuste, les pris délicatement dans ta gueule. Puis tu entras dans le camp, au lieu d'avoir une boule de mousse imbibée d'eau tu ramenais des boules de bardanes...

Tu te dirigeas vers la Pouponnière. Glisser ces épines dans les nids des chatons te dérangeais. En fait, il y avait de jeunes félins, et tu n'étais quand même pas complètement fou au point de vouloir leur faire mal. Alors tu les mis dans la tanière des guerriers.

Lentement, ton ombre glissa sur les visages fermés des guerriers endormis. Tes pattes se posaient sur le sol sans aucun bruit, ton souffle semblait s'être figé avec le temps. Un air froid soufflait, s'engouffrait dans le repère des chasseurs. Faisait frissonner quelques pelages situés près de l'ouverture. Tu déposas furtivement les fruits épineux dans la mousse de quelques nids, repartis aussi vite que tu étais arrivé. Puis tu rentras dans la tanière des apprentis. Te roulas en boule, attendant qu'un guerrier se pointe avec des boules de bardanes accrochées à sa fourrure. Tu te félicitas d'avance de ta bêtise, et ce fut sur ces pensées rassurantes que tu fermas les yeux.

Une voix te tira de tes pensées. Tu ne compris pas ce qu'elle te dit, mais tu savais au moins qui c'était. Une voix claire, celle de Patte de Miel, qui te parlais, au dessus de ta tête. Tu ouvris les yeux. Avais-tu le choix ? On a toujours le choix... Mais il fallait que tu te réveilles. Ton oreille tressaillit, tu te mis debout péniblement et tu regarda le chat en face. D'un regard provocateur, hautain. Et tu lâchas :

— Qu'est-ce que tu veux ?

D'une voix sèche, dure. Sans aucune sympathie. Guerrière ou pas, tu ne la craignais pas. Même si tu savais ce qui l'avait amené à te parler...

Elle ne chercha pas à savoir si tu étais réveillé, elle te prit par la peau du coup et te traina comme elle aurait trainé un chaton. Sauf que tu étais beaucoup plus grand... En fait tu faisais presque sa taille. Enfin pas tout à fait, mais tu avais encore le temps de grandir. Tu te laissa pendre comme un poids mort.

Elle te ramena dans l'antre des guerriers. Tu ne pus t'empêcher de sourire devant ta bêtise. Les guerriers avaient tous fuis l'odeur des boules puantes, et seul une chatte énervée te criait dessus. Tes griffes étaient sorties. Souvent tu les sortais, juste pour frimer, ou pour faire peur aux plus jeunes. Mais pas cette fois-ci. Si tu les avais sorties, c'était pour te battre.

Tu te jetas en avant sur Patte de Miel. Mais, en bonne guerrière aguerrie, elle n'eut aucun mal à t'immobiliser. Tu savais que tu aurais pu te relever pour lui mettre une pâté. Mais tu ne le fis pas. Tu voulais juste devenir guerrier au plus vite. Cette petite blague allait-elle retarder ta cérémonie ? Tu eus peur en y pensant. Mais dans quatre lunes, plus personne n'y repensera. Sauf toi, peut-être.

La guerrière cracha, hors d'elle :

-Bon alors tu va prendre de la mousse et tu va TOUT nettoyer, si tu as des pattes ce n'est pas pour rien. Si jamais ce n'est pas fait ce soir, tu ira dans la pouponnière pendant minimum une lune comme un petit chaton !

Tu hoquetas. Tout, sauf ça. Mais en même temps, contredire tout le monde, c'était ton truc. Et tu ne pouvais t'en empêcher. Alors tu feulas :

— Non, t'as qu'à y aller. C'est pas moi qui dort ici !

Sans attendre, tu te retournas vivement et t'apprêtas à quitter la tanière. Mais pas sûr que Patte de Miel te laisse faire...