Le calme, le silence. Ne me laisses pas... Couché, se reposer. Restes avec moi... Comme une supplication dans les yeux. Une supplication qui priait le chaton de rester. Il se souvenait de ce regard. Celui de sa mère qui semblait promettre de se rattraper, de s'expliquer, mais elle les avait renié, lui et sa sœur et elle ne méritait désormais plus que l'ignorance. L'ignorance était la pire des sentences et elle demeurait celle que lui, il attribuait à la chatte qui avait l'audace de se prétendre être sa mère. Une haine implacable. Voilà ce qu'il ressentait à l'égard de la femelle qui lui avait permis de vivre. Elle avait fait une erreur : lui. Et il n'était sans aucun doute pas le seul à le penser, puisqu'il était un spécimen, un félin bien unique, bien spécial qui effrayait bien des chatons. Je t'en supplie mon fils... Si elle souhaitait lui fournir des explications, elle allait devoir remuer ciel et terre pour capter l'attention de celui qui aurait pu être son fils autant par les liens du sang que par les liens du cœur si elle avait été moins idiote, moins téméraire. Parce que lui, Nuage d'Illusion, ne comptait pas la laisser prétendre. Prétendre être une autre chatte qu'auparavant, avoir changé. C'était trop irréaliste à son goût pour que ce soit vrai. Et en pensant ça, il soulevait une autre question. Qu'est-ce que c'était, la vérité? Il se le demandait souvent, ça. Mais jamais il n'avait obtenu de réponses. C'était une question nécessitant beaucoup de réflexion près tout. Et quelque chose de pousser. Sûrement trop pour le chaton.

On dit qu'en naissant, un chaton débute son histoire. Et si la sienne n'avait jamais réellement commencé, attendant le moment propice pour s'amorcer? Et si ce moment tardait tant que jamais son histoire ne s'écrirait réellement? Et pourquoi autant de et si? Les "et si" écrivent son histoire à coup de probabilités tandis que la certitude ne règne définitivement pas au sein de sa vie. C'était même le contraire, elle fuyait le destin loin d'être monocorde du nouvel apprenti puisqu'il fuyait inconsciemment la routine. Et involontairement. Et pourtant, au milieu de ce changement continuel, une routine demeurait. Une routine psychotique irrégulière qui ne promettait sans aucun doute rien de bon. Mais et si ça permettait d'aboutir à un beau résultat? Le temps seul le dirait, sans aucun doute, mais le temps était des plus cruels quand il s'agissait de cela. Et attendre n'était pas donné à tous les chats de la forêt. Mais ça lui était donné à lui. Et heureusement, parce qu'il allait en avoir besoin, de la patience pour patienter longuement. Sans aucun doute. Nuage d'Illusion était comme ça, d'une patience à toute épreuve, pouvant fixer n'importe qui durant des heures sans même réaliser que le temps passait.

Des bruits. Des miaulements. Des griffes grattant le sol. Dérouté, l'apprenti ouvrit soudainement les yeux, il était au milieu du camp de l'Ombre. Le soleil était haut dans le ciel. Très haut dans le ciel. Il était ainsi tard, près de midi d'ailleurs. Mais ce n'est que maintenant qu'il venait de prendre contact avec la réalité. Parce que depuis le début de la journée, il était là. Posé au milieu du camp, dans les pattes des guerriers qui allaient et venaient et qui avaient fini par prendre l'habitude de le contourner. Du moins, pour cette journée. Il était demeuré là, le soleil illuminant son pelage roux, le rendant sanglant. Couleur sang. Couleur vengeance. La vengeance, ce qu'il faisait bien souvent. Il n'avait pas remarqué qu'il était au travers du chemin des chats plus âgés que lui, parce que son esprit avait été ailleurs. Un peu trop ailleurs. Dans le fin fond de ses pensées, de ses réflexions. Sa vie. Son passé. Voilà où il était et ce qui l'avait coupé du mon extérieur. Le monde extérieur...tiens, parlons-en. Il ne l'aimait pas. Trop dangereux. Trop d'erreurs. Lui-même en était une. Et trop fade. Une hiérachie trop respectée. La souris était souris, le chat était chat. Et un chat ne chassait pas un autre chat. Pour Nuage d'Illusion, un chat pouvait être la souris d'un autre chat. C'était amusant, d'ailleurs, quand ça arrivait. Autant en étant le chat qu'en étant simple spectateur d'occasion.  Mais ce l'était bien plus en étant le chat, bien entendu. Un lueur sombre étincella dans les yeux du chaton quand il songea qu'il lui allait lui falloir une souris. Pas la proie habituelle, mais juste le vulgaire pion.

Mais les grognements des guerriers le rappela à lui. Ça ne lui dérangeait pas, d'être dans les pattes des chats, mais son ventre gargouilla au même moment, lui ordonnant par la même occasion d'aller se nourrir. Alors, obéissant qu'à ses besoins primaires, il se leva et aller piquer une grenouille dans la pile de gibier. Il se terra par la suite dans un petit coin pour la manger. La déguster. Il ne souhaitait pas que des chatons idiots viennent le percuter, aussi bien était-il loin de la pouponnière. Lorsqu'il eût fini, il ferma les yeux. Je t'en supplie... semblait dire les yeux de sa mère, la dernière fois qu'il l'avait vu. Mais il n'y avait pas de je t'en supplie pour lui. Parce que c'était ainsi. Jamais. Jamais il ne pardonnerait à sa mère les actes qu'elle avait fait. Et c'était tant pis pour elle. Il se leva. Nuage d'Illusion ne souhaitait pas demeurer là, dans un Clan qu'il ne connaissait pas trop. Et maintenant, il s'éloigna. Pas à pas. Sans prêter attention à ce qui l'entourait. Et il finit par sortir du camp. Miraculeusement. Et à partir de ce moment, il grimpa sur des arbres, parce qu'il aimait les hauteurs puis redescendit. Parce qu'il voulait se promener. C'était aussi simple que ça. Et il laissait ses pattes le porter là où elles voulaient, sans restriction. C'est pour cela qu'il alla là où les territoires changeaient et les odeurs aussi. Il était désormais dans une forêt dense. Et soudainement, des murmures. Qui s'amplifiaient. Et le décor. Il bougeait. Il faisait des vagues, comme si les ondes revenaient à l'état d'ondes. Tout était différent, si menaçant. Il paniqua. Il recula, mais avait l'impression d'avancer. D'être dans un labyrinthe impossible. Il recula d'un autre pas et fonça dans quelque chose. Ou plutôt quelqu'un. Se retournant, il vit un autre chat au regard effrayant. Au visage déformé. Il bondit loin en arrière. La peur émanait de lui.

La panique envahissait le pauvre petit, les paroles de la chatte était déformée pour prendre toute autre signification et lui, il reculait. Encore et encore jusqu'à ce que tout cesse. Que la forêt reprendre son aspect initial, que les murmures cessent. Il inclina la tête et regarda de nouveau la chatte devant lui. Elle était plutôt mignonne maintenant qu'il la voyait normalement, mais surtout, elle n'avait rien de menaçant. Rien qui ne puisse lui faire peur. Alors il s'approcha. Doucement. Pas à pas. Et il inclina la tête de nouveau. Elle avait à peu près la même taille que lui, elle était sans doute une apprentie. Du moins, c'est ce que c'était dit le chaton de quatre lunes qui lui, aurait dû être dans la pouponnière s'il n'était pas aussi grand. UC