Nuage de Menthe, non, Feuille de Menthe ; tel était son nom désormais et qu'elle le veut ou non, la chatte argentée n'avait plus le choix. Confus par son récent baptême, la jeune nouvelle guerrière avait quitté la Plaine Creuse sans attendre la fin de sa propre cérémonie. Que penseraient ses compagnons de clan ? Elle s'en fichait pas mal. Et Étoile Sombre ? Qu'il pense ce qui lui plait ! Feuille de Menthe n'était pas prête à se battre à mort pour son clan ; elle ne le sera sans doute jamais, surtout si elle doit affronter son frère ou encore pire sa mère. Séparée d'eux depuis sa naissance, la femelle argentée avait vécu au Clan du Vent avec son père et sa sœur décédée d'une étrange maladie quelques jours avant leur nomination en tant qu'apprenties, alors que sa mère avait gardé l'unique mâle de la portée à ses côtés. Au début, Feuille de Menthe trouvait cela injuste, mais plus les lunes passaient et plus elle trouvait sa place au sein du clan de son paternel. Elle c'était même fait plusieurs amis dont Rose des Vents et Nuage de Romarin, alors pourquoi ressentait-elle l'irrésistible envie de fuir rejoindre sa mère au Clan de l'Ombre ? La jeune guerrière l'ignorait. Ses sentiments étaient tellement confus, qu'elle ne savait même plus ce qu'elle faisait. Feuille de Menthe bondit dans un bosquet, passant par-dessus des pierres basses et par-dessous de vieilles souches pourries jusqu'à s'arrêter bêtement au abord de la frontière. Son regard aigue-marine noyé de grosses larmes étincelantes, la chatte peinait à distinguer ses alentours. Devait-elle poursuivre sa course sans savoir où elle allait ou étais-ce la fin, ne pouvait-elle pas aller plus loin, s'éloigner encore de son clan adoptif ? La femelle leva une patte, prête à franchir la frontière quand une voix connue l'appela au loin ; douce et assez insistante pour que Feuille de Menthe renonce à faire sa bêtise.

Enfin je la trouvai ! Après avoir parcourut presque la totalité de nos terres, du camp à la frontière, en suivant ses traces, j'aperçu finalement la nouvelle guerrière près de cette dernière. Que venait-elle chercher en ces lieux ? Pensait-elle à quitter le clan pour toujours ?! Non. Je ne la laisserai pas faire. C'est mon amie, ma meilleure amie même. Sa perte me chagrinerai bien trop et que dire du clan ? Feuille de Menthe ne peut pas partir comme cela, c'est impossible ! Elle manquera à beaucoup plus de chat qu'elle ne le pense ; Serre de Faucon, Aurore Boréal, Plume Douce, Cœur Brûlé, Cœur d'Encre, Nuage de Romarin et moi. Comme moi, elle a vécu beaucoup de chose, la plupart pas très gaie, mais jamais elle n'a renoncée, alors pourquoi maintenant ? J'avoue avoir remarqué la façon dont l'épiait Étoile Sombre, comme si il la sommait en silence de garder quelque chose, un lourd secret. Peut-être est-ce ce "secret" qui la pousse à nous fausser compagnie aujourd'hui ? Je ne sais pas, mais je veux le savoir. J'ai besoin si je veux l'aider, la soutenir et la raccompagner jusqu'à la maison, notre maison ; le Clan du Vent.

« - Feuille de Menthe ? Attends ! » l'appelai-je en accourant dans sa direction hors d'haleine. « - Où comptes-tu aller comme cela ? » demandai-je en arrivant auprès d'elle, mon regard suppliant pour qu'elle me réponde franchement ce qui la tracassait.

« - Feuille de Menthe ? Attends ! Où comptes-tu aller comme cela ? » s'enquit la voix.

Feuille de Menthe fit volte-face, plongeant son regard aigue-marine dans celui doré clair de la chatte qui l'avait suivit. La jeune guerrière c'était attendu à ce que ce soit plutôt son père qui la prenne en fuite, mais elle avait eu tort car le félin qui se trouvait désormais devant elle était nul autre que son amie Rose des Vents. Soulagé de trouver chez la guerrière tachetée de la compassion au lieu de la colère, Feuille de Menthe se détendit. Ses muscles se relâchèrent, ses oreilles se dressèrent et sa queue retomba inerte au sol.

« - Je... Je... » bégaya Feuille de Menthe visiblement incapable d'accepter le geste qu'elle s'apprêtait à poser avant l'arrivée de son amie. « - Tu ne peux pas comprendre... » finit-elle par répondre avec détachement en détournant les yeux.

J'étais soulagée de l'avoir retrouver, mais que dire d'elle. Feuille de Menthe n'avait pas l'air contente du tout. Le regard avec lequel elle me fusillait en disait long. Pensait-elle vraiment que de partir comme cela sans crier gare pendant sa cérémonie de guerrière passerait inaperçu et qu'elle pourrait jouir d'un moment de solitude loin de notre clan, loin de moi. Je ne crois pas. Je m'inquiète pour elle. Voilà plusieurs jours que je l'observe ; elle ne mange pas, ne dort pas, souris rarement ; elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Sa condition me désole, m'inquiète amèrement. Peut-être pas pour son père ni mon jeune neveu qui semblent être trop stupide pour voir qu'elle a changé, mais moi je le sais. Quelque chose ne va pas. Ça ne va plus. Feuille de Menthe a besoin d'aide, besoin de son amie la plus fidèle, sa meilleure amie. C'est à dire moi.

« - Tu ne peux pas comprendre... » miaula t-elle.

« - Normal si tu ne me dis pas ce qu'il y a ! » rouspétai-je. « - Feuille de Menthe, je t'en pris. Dis-moi ce qui ne va pas, je te promets de garder cela secret ! Je n'en parlerai à personne, pas même à Cœur d'Encre. » l'implorai-je.

Je ne pouvais tout de même pas laisser notre amitié voler en éclat en la regardant une seconde de plus dépérir mentalement devant mes yeux. Feuille de Menthe est comme une sœur pour moi ; la petite sœur que je n'ai jamais eu et je ne veux pas la perdre comme j'ai déjà perdu ma véritable sœur, Orage d'Or ; la mère de Nuage de Romarin.

Feuille de Menthe avait qu'une seule envie ; pleurer. La nouvelle guerrière retenait ses larmes depuis trop longtemps, depuis la mort de sa seule sœur et le seul membre de sa famille sur qui elle pouvait compter. Jamais elle n'avait pu réellement se confier à son père, pas parce qu'elle ne le voulait pas, mais bien parce que le lui en empêchait. Serre de Faucon étant côté de traître pour avoir eu une relation avec une chatte ennemie, la mère de Feuille de Menthe, personne n'avait l'autorisation de le côtoyer, pas même sa propre fille qui en avait éperdument envie. Le fait de voir son père tous les jours sans pouvoir lui adresser un seul mot la rendait triste, mais pas au point de vouloir quitter son clan. Ce qui la poussait à partir était autre chose, quelque chose d'encore plus sordide que l'amour déloyal de ses parents. Feuille de Menthe ne pouvait rester au Clan du Vent, pas même aller au Clan de l'Ombre là où sa mère et son frère vivait. Elle ne pouvait prendre partie à cette haine qui habitait l'un ou l'autre des clans de ses origines, elle devait partir maintenant qu'elle est guerrière.

« - Tu ne peux pas comprendre... » avait-elle dit à son amie.

« - Normal si tu ne me dis pas ce qu'il y a ! » rouspéta celle-ci. « - Feuille de Menthe, je t'en pris. Dis-moi ce qui ne va pas, je te promets de garder cela secret ! Je n'en parlerai à personne, pas même à Cœur d'Encre. » l'implora t-elle.

Feuille de Menthe ne savait plus quoi faire. Si elle partait, elle perdrait l'amitié de Rose des Vents et pas seulement elle, mais Nuage de Romarin aussi. Elle ne les reverrait plus jamais et cela lui sembla soudainement plus inacceptable que de devoir faire face à son propre frère lors d'un combat entre son clan et le sien, alors elle s'assied d'une piètre manière devant son amie, la mine basse.

« - J'aimerais rester, crois-moi, mais... » commença t-elle en séchant ses larmes. « - Tu me le promets que tu ne diras rien, promis ? » demanda t-elle avant de poursuivre. « - Personne ne le sais, mais j'ai un frère au Clan de l'Ombre du nom de Cœur Ébène et la simple pensée qu'un jour je devrai lui faire face lors d'un combat me rends mal à l'aise. Je ne veux pas avoir à le blesser, mais si je le laisse partir sans une égratignure, le clan m'accusera de trahison comme il l'a fait pour mon père. » avoua Feuille de Menthe.

Je vis le doute dans son regard aigue-marine. Ne me faisait-elle pas assez confiance pour se confier à moi ? Comment, elle qui avait toujours tout partagé avec moi ; ses joies et ses peines... Il faut croire qu'elle cachait bien son jeu. Qu'elle cachait bien d'autres secrets qu'elle n'osait même pas s'avouer à elle-même. Feuille de Menthe finit par s'avouer vaincu, par chance car si elle s'était jeté stupidement de l'autre côté de la frontière, je ne sais pas comment j'aurais fait pour la ramener. De peine, de misère ou de force, je l'aurai ramené à la maison, au Clan du Vent. La nouvelle guerrière s'assied face à moi, ses yeux fuyant toujours les miens, puis elle se décida enfin à parler.

« - J'aimerais rester, crois-moi, mais... Tu me le promets que tu ne diras rien, promis ? » me demanda t-elle alors que je hochais déjà la tête en signe d'approbation. « - Personne ne le sais, mais j'ai un frère au Clan de l'Ombre du nom de Cœur Ébène et la simple pensée qu'un jour je devrai lui faire face lors d'un combat me rends mal à l'aise. Je ne veux pas avoir à le blesser, mais si je le laisse partir sans une égratignure, le clan m'accusera de trahison comme il l'a fait pour mon père. » conclut Feuille de Menthe, les larmes aux yeux.

Surprise par sa révélation, j'aurais pu facilement me retourner contre elle, mais mes sentiments et mon amitié à son égard eurent le dessus sur tout le reste. Je ne pouvais quand même pas la rabrouer pour une faute qui n'était pas la sienne. Ses parents en avaient décidés ainsi et moi, je ne pouvais que l'accompagner dans la dur tâche qu'est l'acceptation des choix de ses géniteurs en amie que je suis et rien de moins ou de plus ; alors je miaulai :

« - Je ne les laisserai pas faire. » répondis-je solennellement. « - Plus loyale que toi, Feuille de Menthe, il n'y a pas et le fait de rester parmi-nous, le Clan du Vent, le prouve entièrement alors je t'en conjure, ne t'enfuis plus comme ça. Cela ne ferait qu'empirer les choses... Comme promis, je ne parlerai pas de ton frère à quiconque, pas même Cœur d'Encre ou Nuage de Romarin, mais en échange, promet-moi de ne plus jamais partir. Quoi que tu puisses t'imaginer, ta place est au Clan du Vent et nul part ailleurs. Ta famille est là-bas, au camp et elle t'attends avec impatiente pour pouvoir te féliciter comme il se doit, alors rentre avec moi. »

Feuille de Menthe comprit que son amie avait entièrement raison. Rien ne lui servait de fuir car de toute manière, elle ne savait même pas où aller, si le Clan de l'Ombre l'accueillerait à cœur ouvert et si cette destination était un bon choix. Tout laisser pour recommencer sa vie à partir de rien lui avait sembler la meilleure option, mais maintenant que Rose des Vents se trouvait devant elle, c'était stupide. Sa famille était peut-être subdiviser entre le Clan de l'Ombre et celui du Vent, mais son attachement envers ce dernier et ses membres ne pouvait être contesté. Apaisée, Feuille de Menthe oubliait bien trop facilement tout ses soucis, puis elle sourit à sa camarade et miaula doucement :

« - Tu as raison. » dit-elle en s'approchant de son amie afin de la remercier d'une étreinte féline. « - Si je souhaite que le clan ait confiance en moi, je dois aussi leur faire confiance et ne plus douter de qui que ce soit, surtout pas de toi Rose des Vents. Merci, tu es une chouette amie. » ronronna Feuille de Menthe comblée de bonheur.

Je fus soulagée de voir que mes paroles avaient été entendu de mon amie et qu'elles l'avaient caressée dans le sens du poils, mais lorsqu'elle se colla tout contre moi en ronronnant, je sus que tout était régler pour le mieux et qu'elle ne refuserait plus de rentrer en ma compagnie au Clan du Vent, notre clan, notre maison, notre famille à toutes les deux. J'étais comblée de bonheur, surement autant que Feuille de Menthe qui me souriait gentiment alors que je lui rendais ce même sourire sans malice. La guerrière argentée était comme une sœur pour moi, âgée d'une lune de moins, mais cela m'importait guère. Notre lien c'était même renforcer depuis le décès de ma grande sœur. Tragique, mais réel. Elle c'était même liée d'amitié avec mon jeune neveu, Nuage de Romarin, avec qui je suspectais la présence de sentiment bien plus concret ; de l'amour pur et véritable par exemple. Ce serait merveilleux si elle pouvait faire véritablement partie de notre famille. Peut-être qu'un jour elle porterai les petits de mon neveu dans son ventre et ainsi nous pourrions tous vivre heureux en tant que véritable famille nouée par les liens du sang. Ne serais-ce pas parfait ?

Après avoir longuement embrassé Feuille de Menthe d'une étreinte formelle, je fis un pas en arrière, mon regard jaune pâle toujours plongé dans le sien de couleur aigue-marine et je lui demandai doucement :

« - Alors on rentre ? »

Elle acquiesça avec un grand sourire.