Le soleil commença à décliner à l'horizon, mais Nuage du Lion n'avait aucune envie de rentrer se coucher. Demain, sa journée avec Danse du Soleil serait surement épuisante, comme la précédente, mais son instinct l'appelait. Il courrait à travers les herbes qui poussaient en présence d'une terre humide comme celle de son territoire, cette végétation le fouettant parfois. Cependant, il continuait de courir en direction des Chutes. Il ne pouvait pas oublier la mort de sa meilleure amie, cette dernière le hantait ! Il ne le savait pas encore, mais son cœur commençait à se refermer. Le rouquin calma sa course lorsque le vacarme des eaux tombantes avec violence lui effleura les oreilles.

Le novice escalada la falaises en s'aidant des troncs des arbres bordant la frontière avec le Clan du Vent qui étaient tombés dans la flotte, formant un chemin tout fait. Se servant de sa queue comme contrepoids, il arriva facilement en haut, d'où il pouvait contempler la beauté de ses terres. La nature lui arracha un sourire, mais il était tout sauf sincère. Certes, il se disait qu'il devait continuer à vivre la vie de Nuage de Rose, morte ici quelques semaines avant, mais parfois, il était dur d'accepter la disparition de certaines personnes. Nuage du Lion laissait le vent porter son regard où bon lui semblait. Il savoura les saveurs que les zéphyrs lui apportaient, tout ça les yeux fermés. Bonne Nuit, Nuage de Rose. Et ne t'en fais pas, je vivrais pour nous deux. Si il avait pu, une larme coulera sur son visage.

Il fut extirpé de ses pensées lorsqu'une feuille craqua sous le poids d'un félin derrière lui. Tournant vivement la tête, il reconnu Nuage de Gravier, cet apprenti menu du Clan du Vent. Nuage du Lion leva un sourcil, il savait bien qu'il avait plus de force que lui, mais ce que le chat du Vent n'avait pas, c'était l'agilité du novice de la Rivière, et le rouquin comptait surtout sur celle ci pour gagner contre le matou gris. Mêlant sa force, sa vitesse et son agilité, il faisait un redoutable adversaire. Et puis, ayant la meilleure des guerrières comme mentor, il devait forcément gagner. Il avait déjà affronté le novice du Vent, et, sans surprises, il avait gagné. Si Nuage du Lion devenait prétentieux, il ne le remarquait pas, et ce qu'il ne savait pas, c'est qu'en grandissant, cette arrogance ferait de lui ce qu'il n'était pas. Un monstre. Se mettant à la hauteur de Nuage du Gravier, le matou qui portait le nom du roi des animaux engagea la conversation sur un ton moqueur. " Ah.. Tu es venu pour perdre une nouvelle fois ? "

Nuage de Gravier n'attendit pas que le chat de la Rivière ne le rabaisse une seconde fois devant ce public inexistant, et répliqua sur un ton presque de guerre. " Que fais-tu ici, sac à puce !? " Nuage du Lion eut un rictus qu'il ne put s'empêcher de changer en rire moqueur. Pour qui se prenait ce coureur des plaines ? Le rouquin avança jusqu'à la hauteur de son rival de Clan, puis fit claquer sa patte juste devant la limite invisible entre les deux territoires, soulevant au passage un nuage de brindilles mortes. " Je ne te demande pas ce qu'un apprenti du Clan du Vent fait sur les Terres du Clans du Vent, moi. " Nuage du Gravier soutenait le regard pesant de ce chat plus grand que lui, qui se jouait de son adversaire. Il reprit plus sérieusement, plantant ses griffes dans le sol meuble." Je suis encore chez moi, remarqueras-tu. " Le rouquin se retourna, ignorant le chat gris qui le toisait surement durement en ce moment.

Il regarda autour de lui, il n'y avait pas âme qui vive. Un bruissement retentit dans les buissons près de la frontière : un lapin. L'attrapant par les oreilles, Nuage du Lion lui arracha la vie en enfonçant ses griffes dans le ventre du rongeur. Attraper la proie de prédilection du Clan du Vent devant le museau d'un de ses représentants devait être très frustrant. Surtout de la part d'un félin mangeur de poissons, non ? Nuage du Lion devait avouer qu'il ne savait pas comment réagirait le gris d'en face, mais cela lui passait au dessus de la tête. Il plongea son regard dans celui de Nuage du Gravier, puis, tout en enterrant le lapin blanc, engagea la conversation. " Plus sérieusement : Tout va bien de ton coté ?

Il n'obtint pas de réponse subite. Le chat gris devait se demander si cet énergumène de nageur se payait sa tête ou non. En tous cas, Nuage du Lion s'assit pour attendre les paroles du Venteux, tout en poursuivant sa tâche. Il aplatissait le sol, le plus qu'il pouvait, en attendant. Lorsqu'il releva la patte, la terre était plate. Qui aurait deviné qu'une proie se cachait ici ? Fière de lui, car son coté enfantin était plus fort que tout, Nuage du Lion secoua son pelage pour en extirper les cochonneries qui s'y étaient attachées.  

Après quelques secondes pendant lesquelles sont rival le regardait enterrer ce rongeur des plaines, il répondit enfin, disant que son Clan se portait bien, insistant sur le gibier qu'il attrapait, et sur les maladies. Tiens, ne venait-il pas de dire que le Clan du Vent entrait en pénurie de nourriture ? Nuage du Gravier lui retourna vite la question, toujours sur la défensive. Il était impassible, même si on débusquait dans ses yeux une petite once vengeresse. " Oh, eh bien... disons que la Rivière vit bien cette saison." Nuage du Lion releva la tête pour regarder le gris dans les yeux. Les siens, rouille flamboyant, étaient semblables aux dernières lueurs du coucher de soleil qu'on apercevait à l'horizon, aux fin fond des terres du Vent. Les rayons de l'astre s'endormant se reflétaient dans les prunelles du félin roux, faisant danser des flammes ans ceux-ci. Il avait toujours préféré le crépuscule à l'aube, la nuit à la journée, et il regardait la boule de feu décliner au loin, celle ci laissant sa place à la lune qui se levait derrière la matou de la Rivière.

Quand il reporta son attention sur le gris qui ne bougeait plus, mais qui le fixait avec une telle intensité, le crépuscule trônait au milieu des arbres. Les chouettes se réveillèrent, et les derniers grillons de l'été chantaient l'arrivée de l'astre lunaire. Nuage du Lion regarda son rival avec une lueur de défi sur le visage comme dans les yeux, et Nuage du Gravier fronça les sourcils. Le rouquin n'avait pas l'habitude de se battre de nuit, c'était une bonne occasion, n'est ce pas ? Se relevant pour placer ses appuis au sol, il remua sa queue en panache, impatient. Il labourait déjà le sol avec ses griffes, renforçant sa détermination. " J'espère que tu es prêt ! "

Son rival ne tarda pas à lui cracher à la figure qu'il s'était préparé pour ce moment. Nuage du Lion le vit patienter plutôt que de l'attaquer. Il comprit vite son petit stratagème, dignes des plus peureux. Ah ! Il attends que je lance la danse ? T'en auras pour ton argent ! Confiant, le rouquin s'élança vers Nuage du Gravier. Abat la frontière, ils se battaient en toute rivalité, et les mentors conseillaient souvent aux novices de s’entraîner au combat. Et puis si le gris allait réclamer une punition car il avait franchi la limite, il n'aurait qu'à dire qu'il n'avait pas refusé sa demande en duel. Même si personne ne pouvait valider ce qu'il dirait, Nuage du Lion se savait persuasif, et ne craignait point les représailles. Bref, je disais donc. Prenant appui sur la tête de l'apprenti du Vent après un petit bond, le rouquin lui retomba sur le dos, l'écrasant au passage car il était plus léger que le chat de la Rivière. Puisque son but était seulement de gagner un challenge et non de étouffer, il relâcha vite sa prise, avant de se concentrer sur son objectif : Calmer ses muscles, car ils avaient l'habitude de doubler de volume lorsqu'il les utilisait. Non pas qu'il croyait la défense de son ennemi faible, mais il préférait éviter toutes blessures graves.

Restant tout de même sur la défensive, il se calma quelques secondes pour regarder son adversaire qui n'avait toujours rien tenté. " Non pas que je veuille faire un tout à tour, mais... je t'attends Gravel ! " Sa réplique n'avait rien de provoquant, mais il espérait qu'au moins, le chat au pelage gris tente quelque chose pour gagner. N'était-ce pas la le but d'un duel ? Son rival avait l'air pensif, comme si il n'avait pas l'envie de se battre, comme si cela n'était pas dans sa nature. Enfin, c'était son problème. Mais Nuage du Lion commença à regretter tout ce qu'il était devenu en grandissant. Arrogant et presque égocentrique, c'était tout ce que Danse du Soleil voulait éviter qu'il devienne et pourtant... Se remettant en questions en beau milieu du combat, il ne vit pas le coup de Nuage du Gravier arriver...

Le choc fut fatal pour l'équilibre du matou roux soleil couchant : en une seconde, il se retrouva sur le dos, écrasé par le poids de son ennemi du Vent. Il vit le visage de ce dernier se rapprocher, défiguré par la haine qui se comprenait à travers de la réplique qu'il lui sortit : " Ne jamais baisser ses gardes, sale sac à puce galeux ! " Les fentes dans les yeux du mâle de la Rivière se resserrèrent pour ne former qu'une fine couche noire dans l'infinité de ses yeux ambrés. Cet idiot ne change-t-il jamais de disque ? Les griffes du chat gris enfoncées dans ses épaules ne lui faisait plus rien désormais. Une léger, mais gras, grognement s'éleva du fond de la gorge du rouquin, tandis que Nuage du Gravier échappa de justesse au coup de griffe qu'il aurait voulu lui asséner.

Se relevant en quelques secondes, Nuage du Lion montra les crocs, son pelage doubla de volume, lui étant déjà épais, l'apprenti avait l'air d'un véritable monstre assoiffé de sang. Ses yeux ne regardaient que le chat du Clan du Vent en face de lui, les griffes fermement plantées dans le sol. " Oh oui, accroche toi, ça risque de t'effrayer. " Le monstre sadique et cruel qui sommeillait en lui faisait surface, cet esprit de vengeance qui torturait l'esprit de Nuage du Lion à chaque fois que son honneur était bafoué. Cet esprit qu'il s’efforçait de contrôler pour ne pas se changer en la créature qu'il n'était pas. Seulement, Nuage du Gravier l'avait provoqué, cet esprit, et celui si n'était obsédé que par une chose : la Victoire avec un grand V.

Poussant un long rugissement, Nuage du Lion plaqua à son tour l'apprenti gris au sol, l'empêchant de faire le moindre mouvement. Il le mordit sévèrement à l'épaule, jusqu'au sang. Quand la texture pâteuse et l'odeur âcre de celui ci vint chatouiller les papilles et les narines de Nuage du Lion, celui ci retrouva la raison. Relâchant son emprise, ses iris s'épaissirent, mais il ne délivra point son prisonnier pour autant.