Il est difficile d'être heureuse quand tu refuses de laisser aller toutes les choses qui te rendent triste.

 

Destin Perdu, Nuage de Gravier et Rose des Vents.

 

 

J'étais debout, seule au beau milieu de nul part. Autour de mois s'étendait une lande inconnue, semblable à celle de mon clan, mais tout aussi différente. Les multiples odeurs qui y régnaient ne me rappelait rien, comme si j'y était jamais venu et c'était bien le cas. Aussi loin que mon regard puisse porter mon esprit, je n'apercevait nullement les quatre chênes ou encore les terres des autres clans. Ces terres inconnues s'étendaient sans fin vers l'horizon, vers un soleil couchant qui teintait de plus en plus, à mesure qu'il progressait dans sa descente, l'herbe et le ciel d'une couleur pourpre semblable à celle du sang. Ma tête se mit alors à tournoyer, comme la toison argentée au-dessus de moi, puis mes pattes à trembler. Je peinais à rester droite, debout sur mes quatre pattes. Je titubais, vacillais, puis chutais sur un sol froid et dur dans un tel fracas que je crus que mon crâne c'était brisé contre une pierre, mais lorsque je rouvris les yeux, tout avait disparu.

Nuage de Gravier était là. Il se tenait tout près de mon nid, juste devant moi, à me regarder comme si il venait de me réveiller d'un horrible cauchemar. Ce qui j'avoue, était plutôt le cas. J'en avais encore des sueurs froides que je parvenais à peine à dissimuler sous ma fourrure tacheté. Et que dire de la terreur dans mes yeux. Bref, je tentais aussi bien que de mal de mettre ce sombre songe de côté afin d'écouter toute ouïe ce que le novice gris avait à dire. J'espérais également qu'il s'agisse de bonne nouvelle car je crois personnellement ne pas pouvoir supporter davantage de déception. Ma vie me semblais déjà en être une énorme. J'avais toujours vécue, depuis ma naissance, sans mère. C'était ma grande sœur qui m'avait élevé avec l'aide d'une reine, aujourd'hui toutes deux décédées alors que je m'occupes moi-même de son fils. Et que dire de mon père ; je ne le connais pas. Ma famille ; j'avais dû me la construire petit à petit. Gagnant parfois des chats dignes de confiance, mais souvent j'en perdais. Trop si j'ose dire. Voilà pourquoi tant de mélancolie. Contrairement à ce que j'essaie de faire croire, ma vie est catastrophique et parfois je me dis qu'elle ne vaut pas la peine d'être vécu. Heureusement que j'ai Cœur d'Encre. Que serait ma vie sans lui ? Je l'ignore et j'espère ne pas avoir à le découvrir bientôt. Pourquoi tant de pessimisme ? Et bien, ai-je omis de dire que mon compagnon avait été gravement blessé lors d'un combat contre un chat ennemi ? Ah bon ! Maintenant vous savez. À ma souvenance, il parlait d'un guerrier du Clan de l'ombre ou Est-ce un apprenti ? Je ne me souviens pas très bien. Et puis, peu importe car il s'en remettra, pas vrai ? Je questionnai donc Nuage de Gravier du regard en quête d'une réponse à toutes mes interrogations. Peut-être venait-il m'annoncer la bonne nouvelle ? Mais que dis-je ? Si il est ici c'est...

« - Peux-tu venir avec moi dans la tanière de Destin Perdu, il a quelque chose à te dire, s'il te plaît. » miaula l'apprenti-guérisseur.

Mon expression se décomposa peu à peu. Dans sa voix régnait un ton que je qualifiais facilement de lugubre. Quelque chose clochait et j'avais le mauvais pressentiment que cela concernait Cœur d'Encre, mon compagnon. Toutefois, malgré le chagrin, j'obéis et rejoignis Destin Perdu dans son antre.
   

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Il est difficile d'être heureuse quand...

Destin Perdu, Nuage de Gravier et Rose des Vents.

Je me levais donc péniblement de ma confortable couche, sans envie apparente ni émotion, froide comme la pierre. Si c'est pour apprendre une mauvaise nouvelle, alors pourquoi y mettrais-je du cœur ? Je suivis alors Nuage de Gravier hors de la tanière des guerriers, les pattes flageolantes et une boule amer de bile coincée en travers de la gorge, comme si j'étais sur le point de rendre mon déjeuner d'hier soir. Une maigre souris. Soudain, perdue dans mes pensées les plus sombres, je sentis sur moi le regard vide de l'apprenti, perçant et pénétrant jusque dans mon âme comme si il pouvait lire toute la peur qui se terrait au fond de moi aussi facilement que je pouvais le voir lui, posté près de l'entrée de l'antre de son mentor. Mal à l'aise de lui reprocher quoi que ce soit, je déglutis lentement avant d'oser entrer à la rencontre de Destin Perdu.

Le matou brun se tenait là, tout juste de l'autre côté du rideau de lichen. Son regard bleu profond me fis sursauter. Pourquoi ne voulait-il pas que j'entre ? Destin Perdu me repoussait à l'extérieur de sa carrure massive, puis il s'assied devant l'entrée en bloquant l'accès à tout les potentiels visiteurs. Un silence inquiétant régnait entre nous deux ou plutôt nous trois car Nuage de Gravier vint rejoindre son mentor et prit place à ses côtés. Leurs regards froids me confirmèrent mes pires craintes. Ils ne savaient pas par où commencer, ni un ni l'autre, et se jetaient constamment des coups d'œil censés passer inaperçus. Ça y est, une mauvaise nouvelle. Étrangement, je ne succombais point au chagrin grandissant qui envahissait mon cœur de plus en plus. Je voulais être sûr, avoir la certitude par les paroles du guérisseur. Je n'en pouvais plus d'attendre muette qu'il se prononce, alors je plissais les yeux, le forçant à parler. Ce qu'il fit après un long soupire qui voulait absolument tout dire.

« - Bonjour Rose des Vents. Je pense que tu te doutes que si je t'ai demandé de venir ici c'est qu'il se passe quelque chose... » Le guérisseur cherchait ses mots quelques instants avant de reprendre « Je suis désolé Rose des Vents, mais Cœur d'Encre a succombé à ses blessures... J'ai tout fais pour le sauver, mais elles étaient trop infectées... »

À cette nouvelle, je sens mes paupières se soulever, mes yeux s'écarquiller grands comme ceux d'une chouette, mes pupilles s'étrécirent, ma fourrure se dresser le long de mon échine, mais... aucune larme, pas une seule, couler sur mes joues. Rien. Qu'une longue et pénible plainte dans ma gorge. Une lamentation à en glacer le sang direct dans les veines.

« - Noooooooon... » miaulais-je en minouchant.

Après ma mère et mon meilleur ami, Plume de Hibou, il y avait eu ma sœur et Cœur de Cygne et maintenant Cœur d'Encre, mon compagnon. La vie me semblait si soudainement cruelle, froide et sans pitié que lorsque Nuage de Gravier cherchait à me consoler en se frottant contre mon flanc, je le repoussais brutalement. Je n'étais plus un chaton. La compassion, j'en avais plus de besoin pour passer un deuil. Les larmes ne coulaient toujours pas. Au fond de moi, je ne ressentais que colère et frustration en plus d'un sentiment étranger, plus fort que tous le reste. Comme un goût de sang sur ma langue, une sorte de... vengeance meurtrière... qui pourrait très bien me mener à tuer n'importe quel félin de sang-froid, mais dans ma tête, s'insinuait les dernières paroles de mon défunt compagnon et la description qu'il m'avait fait de son assassin ; petit chat roux tigré aux yeux du diable, couleur sang !
   

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HRP:

Il est difficile d'être heureuse quand...

Destin Perdu, Nuage de Gravier et Rose des Vents.

J'attendis que le guérisseur et son apprenti ait quitté leur tanière pour m'y engouffrer. Même si je savais déjà ce que j'allais y trouver, ce fut tout un choc de voir le beau guerrier écaille inerte dans un des nids. Sa tête pendait tristement sur le côté du tas de mousse, ses yeux clos comme si il dormait simplement, mais l'absence de mouvement au niveau de ses flancs me confirmait son état. Cœur d'Encre était vraiment mort. Je m'approchais de lui, la queue trainante dans l'herbe fraichement poussé, puis je déposais mon museau contre sa joue, me blottissant tout contre ses muscles tièdes. C'était fini. Plus jamais je n'entendrais sa si joli voix de nouveau. À cette pensée, les larmes coulèrent finalement sur mes joues, mouillant mon pelage argenté strié de noir et le sien légèrement.

« - Ô Cœur d'Encre ... Je suis désolé ... » fut les seuls mots que je parvins à prononcer. Ils restèrent un moment coincés en travers de ma gorge en une amère boule de regret, puis laissèrent la place au silence qui perdurait toute le reste de la journée, jusqu'au coucher du soleil, au moment de l'enterrer et guider son âme au Clan des Étoiles.
   

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