Je m'ébroue doucement dans la lumière du soleil d'hiver. Clignant plusieurs fois des yeux pour pouvoir observer nettement mon environnement, je lève mes yeux vers ma mère, Reine des Neiges. C'est notre maman à Petit Narcisse, Patte d'Edelweiss et moi. Je l'adore. Vraiment beaucoup. Je la trouve splendide dans la lumière solaire. Son pelage blanc resplendit. Elle est si belle... J'aimerais tant lui ressembler. Ronronnant, je m'approche d'elle et me frotte contre son pelage. J'aime sentir sa chaleur, son amour. Je sais qu'elle nous aime, elle nous le montre à chaque instant, et c'est un sentiment rassurant. J'aimerais rester contre elle pour toujours. Une voix m'appelle et mes yeux pétillent en ce tournant vers mon ami. Je le salue d'un petit miaulement, me demandant pourquoi Maman me regarde ainsi. Il n'y a pas qu'elle d'ailleurs, les autres résidents de la Pouponnière me lancent un regard étrange. Je lève les yeux vers ma maman. Je ne comprends pas? J'ai fait quelque chose de mal? Je me tourne vers Stein qui rit un peu, de sa voix si rauque. Il me dit que c'est parce que je suis son amie. Étonnée, je n'arrive pas à faire le lien entre notre amitié et ces regards. Alors que Stein semblait sur le point de m'expliquer, je sens quelques coups contre moi. Apparemment, aujourd'hui, maman voudrait que je sorte. Je n'aime pas trop ça. Sortir, ce n'est pas quelque chose de facile. Dehors, il y a du danger et ça me fait peur. Je n'ai pas très envie, mais maman insiste. Je voudrais bien emmener mon ami, mais maman est déjà en train de m'emmener vers l'extérieur. Stein n'insiste pas et me salue, en me disant qu'on se revoit plus tard.

Me résignant, j'arrive à la sortie de notre Pouponnière. Je frissonne aussitôt. L'air n'est pas très chaud et en plus nous, du Clan de la Rivière, nous habitons près de celle-ci, ce qui amène un petit vent. J'aimerais retrouver la chaleur de l'intérieur, mais apparemment, aujourd'hui, ce n'est pas au programme. Dépitée, je me tiens près de l'entrée, au cas où maman changerait d'avis. Je la vois discuter avec d'autres félins et je baisse la tête, ne sachant pas ce que je dois faire. Puis, soudain, elle se penche vers moi et me désigne un matou gris, à l'entrée, me le désignant comme son frère. C'est donc mon oncle? Elle me pousse à aller lui parler et après pas mal d'hésitations, j'accepte de lui obéir, m'avancer timidement et à petits pas vers lui. Je sursaute lorsqu'un félin, un apprenti sûrement passe près de moi, très près de moi, me frôlant presque. Je pile et observe autour de moi. Je grimace en voyant qu'il vient de marcher sur un pauvre brin herbe qui ne lui avait certainement rien demandé. À voix basse, je me penche vers le végétal et je m'excuse à la place de ce Novice. Heureusement, il est de bonne humeur et accepte mes excuses. Le coeur un peu plus léger, je reprends mon avancée, jusqu'à atteindre ce fameux oncle. Je m'arrête face à lui, déglutissant avec quelques difficultés. Je lève mes yeux, continue de les lever, jusqu'à voir son museau. Je me sens si petite... D'une toute petite voix, j'ose lui adresser la parole.

"Euh... Bonjour? Je... Je suis Petite Dryade."

Je le regarde s'asseoir, la queue enroulée autour de lui. Il a l'air plutôt amusé et en l'entendant glousser, je ne peux que me demander si c'est moi qui provoque cette hilarité. Je baisse les yeux. Se moque-t-il de moi? Qu'ai-je donc fait? Je n'ai fait que m'excuser auprès de cette petite pousse d'herbe, est-ce un mal? Je sais que quand je discute avec eux ou que je leur prête trop d'attention, on me dévisage étrangement, mais ce sont des êtres comme nous, seules leurs formes diffèrent. Pourquoi ce déni, ce mépris?

-Oui je sais, ma petite. Si ta mère ne t'a pas encore dit mon nom , je suis Esprit des Songes , je suis ton oncle .

Je relève la tête, un peu surprise. Habituellement, je ne reçois pas de réponse comme cela. Si ça avait été un chaton, il se serait moqué de moi. Je ne comprends pas vraiment pourquoi on me brime, mais ce n'est pas très important. Ce matou, Esprit des Songes, mon oncle, il m'é répondu sans moquerie. Je souris un peu mais me recroquevillai en entendant ma mère hurler de l'autre bout du camp. Devait-elle vraiment le faire pour dire à mon oncle de faire attention à moi, et ce, en le menaçant. Je n'oserai plus le regarder en face à présent. Je baisse à nouveau les yeux, admirant sans vraiment les voir les petits grains sur le sol.

-Voyons Soeurette , tu oserais vraiment défier un guerrier avec de l'expérience ? Franchement , tu devrais être plus respectueuse envers ton grand frère , surtout que JE suis l'aîné de la famille et JE serai bientôt un vétéran.

Je sursautai vivement. Comment? Je tournai la tête vers Maman, lorsqu'elle répliqua. J'ouvris mes yeux en grands. Étaient-ils en train de... s'amuser? J'observai le duel, en quelque sortes, qui se jouait ici, au Camp du Clan de la Rivière. À la dernière réplique de Maman, je ne pus m'empêcher de rire un peu, mon corps se secouant au rythme de ce rire que j'essayai de dissimuler. Je sursautai à nouveau en voyant Esprit des Songes s'allonger sur le sol. À présent, il me semblait bien moins impressionnant. Pas que je ne le respecte plus, mais il était plus au niveau de mes yeux qu'auparavant. Un peu plus assurée, je m'avançai prudemment vers lui.

-Et tu vois la femelle blanche près du rocher ? Elle , c'est Perle de Pluie et c'est ta tante , miaulais-je en pointant ma soeur de ma longue queue.

Je me tournai dans la direction qu'il m'indiquait pour apercevoir une femelle au pelage clair. Je l'observai un petit instant. Je la trouvai plutôt jolie, mais pour moi, ma maman, c'est la plus belle. C'est vrai, non? Reine des Neiges est magnifique. Je détourne mes yeux de ma tante et concentre mon regard vers mon oncle. Il n'a pas la fourrure blanche de ses deux soeurs, mais il y a pourtant une ressemblance. Je crois. Un petit quelque chose que je ne saurais expliquer. C'est étrange, comme si les liens familiaux représentaient une sorte de fil qui relie chacun des chats la composant. Suis-je moi aussi reliée de la même façon? Je l'ignore. Ce qui est certains, c'est que ses yeux sont aussi bleus que Maman. Peut-être d'une nuance différente, mais toujours bleus. Aurais-je les yeux bleus moi aussi? Je ne sais pas. Je ne suis qu'un jeune chaton avec des yeux gris bleu, comme tous les chatons. Et s'ils ne sont pas bleus, seront-ils aussi verts que ceux de mon père? Ou un mélange de deux? J'aimerais bien le savoir. Je détourne le regard, fixant un brin d'herbe qui s'amuse à sentir le vent contre lui. Cela me rappelle l'histoire que Stein m'a racontée. D'ailleurs il ne m'a pas encore narré la fin. Il faudra que je le la lui demande. En y pensant, je ronronne doucement avant de ramener mon attention vers cet oncle que je ne connais que très peu.

"Tu.. Tu es donc un Guerrier. Tu n'as pas peur? Je... Je n'aime pas sortir de la Pouponnière, le monde est dangereux et ça me... m'effraie. Je n'ai pas envie de devenir Apprentie, je veux rester avec Maman."

Je sais bien qu'habituellement les chatons rêvent de devenir Novices. Mon frère, Petit Narcisse n'attend que ça. D'après ce que j'ai entendu, il harcèle les Apprentis, pour se donner un avant goût de sa future vie. Mais moi, je ne suis pas pareille. Je ne rêve pas de cette vie de danger et de peur. Maman me protège et je me sens bien contre elle. Elle est douce, gentille et merveilleuse. Je jette un coup d'oeil à ma si chère maman. Ai-je vraiment l'obligation de la quitter un jour? Je n'ai vraiment pas envie.

Il me dit non de la tête. Ainsi il n'a pas peur? Mais comment fait-il? Il ne ressent pas cette émotion si inconfortable qui me prend à chaque fois que je pose une patte en dehors de mon petit repère à la Pouponnière. Mes yeux sont baissés, j'ai trop peur de ce que je pourrais lire dans ses yeux. Il pourrait y avoir de la pitié, du mépris ou encore de la colère. Je suis sa nièce, peut-être espérait-il que je sois un peu plus vaillante, un peu plus courageuse. Que je sois plus digne de mériter confiance et respect. Mais je ne suis que moi et je ne peux pas changer, sinon ce serait me mentir à moi-même et je n'en ai pas envie. Stein me dit parfois qu'en grandissant on apprend à se transformer, on apprend à se dissimuler, à se fondre dans la foule quitte à renier son existence. Je n'ai pas envie de devenir ainsi et je l'ai clamé à mon ami. Il n'a rien dit, comme s'il savait que ça allait arriver. Mais non, je suis certaine que je resterai telle que je suis, je continuerai à le considérer comme mon meilleur ami, quoi qu'il arrive.

-Tu sais , Petite Dryade. Un jour , tu vas grandir et tu vas peut-être comprendre que la vie ne se déroule pas toujours comme on le veut et je te comprends . Quand j'avais ton âge , moi aussi j'ai déjà eu peur de ce monde si grand mais tu sais quoi? La vie vaut la peine d'être vécue .

Mes yeux se relève soudainement pour fixer les siens. Je sais que ce n'est pas très poli et que ça pourrait être considéré comme un défi, mais qui pourrait penser que je suis en mesure de défier qui que ce soit? Regardez moi, je suis aussi frêle que cette herbe que l'on a écrasé sans aucun remord, aussi fragile que ce petit brin qui ne demandait rien à part vivre en paix. Mais ce qu'il dit m'intrigue. Il a aussi eu peur? Est-ce donc normal de ressentir cette panique lorsque l'on sort de ce lieu protégé, de penser à chaque pas que l'on pourrait être attaqué, faire quelque chose de mal et en payer durement les conséquences?

- Si tu ne veux vraiment pas devenir guerrière , il te reste toujours deux options,  tu pourrais devenir guérisseuse mais tu ne pourrais jamais avoir de chatons , ni de compagnon ... Sinon , si un jour tu rencontres un mâle qui sait faire battre ton coeur , tu pourrais avoir des petits avec lui et devenir comme maman , une reine éternelle...

Mes yeux s'écarquillent. Ne pas devenir Guerrière? Est-ce vraiment possible? Ce n'est pas que je trouve cette fonction dégradante ou quelque chose du genre, mais elle est en opposition avec mes pensées. Se battre contre d'autres chats et devoir verser le sang... Ça me répugne, mais ce qui m'horrifie le plus, c'est de devoir tuer pour nourrir. Chasser une proie, glisser mes griffes contre sa peau et verser son sang. Voir sa vie s'en aller et ne rien pouvoir faire, et ensuite se repaître de sa mort tout en consommant cette chair qui ne demandait qu'à vivre sa vie, tout comme nous. Ne pouvons-nous pas tous vivre sans s'écorcher les uns les autres? La première me semble impossible. Devenir Guérisseuse? Je n'en ai pas vraiment envie. Devoir supporter les jérémiades de ceux qui chaque jour tuent des innocentes vies, qui piétinent les herbes sans remords, qui séparent des familles de cailloux... C'est ce qui est arrivé à Stein. Il a été séparé de ses proches à cause d'un petit groupe de chatons qui passaient par là. J'ai essayé de retrouver sa famille et chaque jour j'interroge ceux que je vois, à la recherche des personnes chères au coeur de mon ami... Mais à ce jour, je n'ai pas encore réussi, même si je ne perds pas espoir d'y arriver. Quant à devenir une Reine pour toujours, je ne sais pas trop. Je suis encore un jeune chaton, comme me projeter dans une vie au service de chatons?

"Je ne sais pas. Je n'arrive pas à me projeter. Et... Je ne sais pas si j'ai vraiment envie de grandir. J'ai parfois l'impression que grandir c'est se renier. Et je ne veux pas dire au revoir à mon ami. Je n'ai pas envie de me cacher. "