La chasse n'attendait pas comme on disait. J'avais décidé de prendre la tête d'une patrouille de chasse, pour bousculer les habitudes, autant les miennes que celles des membres du clan, peu habitués à voir leur chef en patrouille, et encore moins en patrouille de chasse. Je chassais généralement seul, dans des coins assez loin de l'agitation du camp. S'entourer de plusieurs félins me permettrai de vraiment vivre la chasse.

Les apprentis avait été très impressionné par ma venue, et se sentaient nerveux rien qu'à être observé par leur chef. Je ne voyais pas trop en quoi ma présence était une source de pression mais souvent, cela décuplait leur talent et leur adresse.

La patrouille se passa très bien. Même si certains étaient revenus bredouille, les lapins étaient de sortie et j'imagine que leurs petits ne tarderont pas, pour nous faire plus de gibier. Moi même, j'avais ramené un petit lapin, un peu maigrichon, ainsi qu'une grive, trouvée par hasard au détour d'un buisson. Les chats des autres clans pensaient que nous ne savions chasser que le lapin mais en vérité, bon nombre de proie nous étaient accessible, du moment qu'elles s'aventuraient dans la lande. Souris, mulots, musaraignes, oiseaux en tout genre. Nous nous adaptions à notre territoire, puisque les proies passant au sein de notre territoire étaient à nous. C'était tout à fait normal pour moi.

Je me dirigeais vers la pile de gibier, pour y déposer mon lapin et ma grive. J'allais aussitôt vers ma tanière pour me coucher quelques minutes, pour me reposer un peu. A peine j'eus atteint le seuil de ma tanière que mon ventre gargouilla. Il était midi passé.

Je pivotais et je me retournais pour aller à la pile de gibier une nouvelle fois. J'entendis un bruit suspect, je tournais la tête. Juste des gravillons emportés par le vent qui dévalaient la colline. Rien d'inquiétant.

Je ne vis pas qu'un félin se dirigeait vers moi. C'était Songe des Océans qui me renversa, tête et queue baissés. Elle poussa un gémissement en tombant.

Je grognais sourdement du choc. Elle se releva et s'excusa doucement, tout doucement.

Je trouvais quelque chose d'anormal à son comportement. Ce n'était pas une guerrière du dernier quart de lune, je la connaissais. Et je l'appréciais plutôt bien, peut être pas assez pour en faire ma compagne, mais plus que les autres guerriers. On s'entendait bien, et je la supportais assez. Son comportement m'inquiétait quelque peu. Sûrement une baisse de moral passagère, rien de grave. Néanmoins, je voulais en savoir un petit peu plus. Je n'étais pas intrusif, seulement un chef de clan.

Je me relevais et je m'ébrouais :

« Ce n'est rien voyons. »

Puis je m'approchais un peu plus, pour lui chuchoter :

« Tu es sûre que tout va bien ? Tu as l'air bizarre aujourd'hui. »

Nerveuse et tendue, il était évident que quelque chose n'allait pas. Ma question était presque inutile. Son corps entier était la réponse à ma question. Elle hésita avant de répondre, et feignit  d'être en forme :

« Oui oui ! Tout va bien ! »

Son ton lui même disait l'inverse. Je n'allais pas la laisser ainsi. Après tout, je l'avais connu lorsque nous étions novices, et elle ne m'avait jamais laissé tomber. Je devais lui rendre la pareil.
Reprenant un peu d'autorité, je secouais ma queue :

« Viens dans ma tanière quelques instants. »

Je pris le chemin de ma tanière et je cheminais sans me retourner. Je savais qu'elle me suivait. J'entendais ses pas, que je connaissais si bien tellement j'avais fait de patrouilles en sa compagnie. Depuis mon jeune âge, qui me paraissait si loin avant. En ce moment, les souvenirs revenaient facilement, presque sans efforts.

Une fois dans ma tanière, je vérifiais que personne n'était près de l'entrée, et je m'assis sur ma couche. Je tendis la queue vers le terrain sablonneux qui composait le reste de ma tanière.

« Je t'en prie, fais comme chez toi. »

Une politesse, peut être inutile. Je la traitais comme une simple guerrière alors qu'entre nous s'était tissé un lien assez fort, plus fort qu'avec d'autres guerriers. C'est bien pour ça que je l'avais nommé lieutenante. Un chat expérimenté et avec qui je m'entendais assez bien, c'était l'idéal.

Assis, la queue enroulé autour des pattes, je lui adressais la parole :

« Je te connais assez bien pour voir que tu ne me dis pas la vérité. Ton ton dit le contraire de ce dont tu veux me persuader. Ne me cache rien voyons, je suis ton chef. »

Je rajoutais, sur un ton un peu plus doux :

« Je suis aussi un de tes plus anciens camarades. Depuis que nous sommes apprentis. Je ne peux pas te voir comme ça sans rien faire. »

Reprenant malgré moi un peu d'autorité, je finissais :

« Alors dis moi ce qui se passe. Tout cela restera entre nous. »

J'avais un pas à la fois lourd mais énergique, comme un ancien perclus de rhumatismes qui retrouverait tout d'un coup l'énergie de sa jeunesse. Pourtant, la femelle marchait dans mes traces sans broncher, habituée depuis longtemps à cette démarche de vétéran dont les épaules portent les soucis du Clan. Elle savait qu'elle pouvait me faire confiance, je n'avais trahi personne. J'avais gardé certains secrets sans jamais qu'ils traversent la barrière de ma parole. De toute façon, je n'avais personne à qui les confier.

Malgré mes efforts pour la mettre à l'aise, elle semblait encore stressée, se dandinant. Timidement, je posais ma queue sur son épaule, un contact rare chez moi. C'était un encouragement, presque une supplication. Parle moi !

Elle finit par prendre la parole, dans un souffle :

« Je ne sais pas si tu as remarqué, commençais-je en hésitant, mais Serre de Faucon et moi … On est en couple. Sauf que je doute de sa fidélité alors qu'il n'a jamais douté de la mienne. Je sais c'est très gamin ce genre de pensées mais j'ai l'impression qu'il ne m'aime plus ... Je ne sais plus quoi faire Étoile Sombre ... »

Les histoires de couple. Un terrain inconnu pour moi. J'avais beau connaître mon territoire par cœur, connaître le minimum de diplomatie à avoir avec les autres clans et foule d'autres choses de la vie, mais ça, je ne pouvais pas comprendre ni compatir. Je ne connaissais pas l'amour. Je n'avais jamais eu d'attirance quelconque pour une femelle, en tout cas pas au point de passer ma vie avec et de faire des chatons piaillant à tue-tête et qui sont dans vos pattes toute votre vie ! Oui bien sûr j'étais proche de Songe des Océans, mais pour moi c'était une amie, une bonne amie, chose rare en ce monde.

Puis le nom de Serre de Faucon hérissa mes poils. Valeureux guerrier, du moins au début. Accusé de fréquenter une guérisseuse ennemie, de l'Ombre plus précisément, et d'avoir tué une guerrière, je l'avais tout d'abord puni en le cantonnant au camp, puis en lui retirant son rang de guerrier jusqu'à qu'une bonté inhabituelle surgisse en moi et me fasse reconsidérer la situation. J'avais finalement décidé de lui remettre son rang de chasseur, tout en le surveillant du coin de l’œil, au cas où. Pour des mâles aussi conquérants si je puis le dire ainsi, auprès de la gente féminine, il fallait se méfier.

Il fallait surtout revenir au cas de la femelle, à l'air triste et tourmenté, ce qui me faisait un peu de peine, je l'avouais. Mais que lui dire ? Je ne savais pas ce qu'elle vivait, je ne l'avais jamais vécu, et j'en étais content. Sans pouvoir la réconforter, j'entourais ses épaules de ma queue.

« Pour tout te dire, moi non plus. Je n'ai jamais été à ta place, je n'ai jamais eu de compagne et je n'en suis pas malheureux. Pourtant je peux te comprendre. Serre de Faucon est un félin parmi tant d'autres, capable de sentiments et d'actions, mais il a fait beaucoup de mal aussi. Je ne sais pas ce qu'on peut faire. »

J'ajoutais, l'air un peu plus sérieux :

« On pourrait le mettre sous surveillance quelques temps. Il trame peut être quelque chose. Je ne peux ignorer ton doute, il doit être fondé. C'est sûrement le signe qu'il y a quelque chose sous les fourrés. Je n'ai pas oublié Fleur de Lune et Perle d'Argent. »

La femelle sembla peser mes paroles, fermant les yeux pour réfléchir. Je ne doutais pas de sa sagesse. Même si nous avions un état d'esprit complètement différent, et une enfance très différente, je ne doutais pas que sa sagesse de vétéran soit aussi valable que la mienne. Je m'estimais heureux d'avoir au moins un peu de compagnie, rien que pour prendre des décisions. La responsabilité pouvait être un poids assez lourd, pour qui le porte seul.  

Je continuais à regarder droit devant moi, attendant patiemment qu'elle relève la tête pour me répondre. En voyant son regard troublé, même si elle ne me regardait pas, je sus qu'elle était déstabilisée et assez hésitante. Elle se demandait sûrement si elle était capable de mettre en pratique ce que je lui avais proposé, mettre sous la surveillance de quelques guerriers son propre compagnon. Si il l'apprenait, cela pourrait briser le couple, et tout ça parce que je l'avais proposé.

Je n'étais plus étonné par les conséquences de mes paroles ou de mes actes. Quand j'étais plus jeune, cela m'horrifiait de savoir ce que je pouvais provoquer, mais je le prenais comme un fardeau de chef.  Je ne pouvais plus insulter les guerriers des autres clans la conscience légère. La diplomatie était de rigueur. Même si nous étions des guerriers, la bataille et les morts n'étaient pas les solutions à tout.

Songe des Océans me bégaya :

« Je .... Je ne sais pas. Fais ce que tu juges adapté pour la situation ... Je suis totalement perdue, je ne sais plus quoi penser de lui ... Il n'est pas, enfin, plus un traître. Si ? »

Est ce qu'un traître peut redevenir un chat normal, un guerrier loyal comme tout les autres ? Je ne le savais pas. J'étais aussi perdu qu'elle, sans vouloir l'admettre. Je n'avais jamais été en face de cette situation, pourtant un chef de jadis est forcément tombé sur une situation pareil au sein du Clan du Vent, non ? Pourquoi le Clan des Etoiles n'est pas venu me conseiller ? Il aurait peut être pu me dire quoi faire, si il fallait le bannir ou non. Mais parfois, il fallait se débrouiller seul. Le Clan des Etoiles n'avait pas réponse à tout. Mais un des chefs de jadis, même si il fut chef du Clan de la Rivière, aurait pu m'aider quand même !

Je haussais les épaules, seul manifestation de mes doutes :

« Je n'en sais rien. Le Clan des Étoiles ne m'a rien dit à son sujet. Pas même Perle d'Argent, pour m'aider à éclaircir cette affaire. »

J'agitais le bout de ma queue.

« Néanmoins, il est vrai qu'on l'a laissé très vite après sa trahison. Je dépêcherai moi même quelques guerriers pour le surveiller discrètement. »

Je m'avançais pour lui donner un coup de langue sur l'oreille.

« Je sais que Serre de Faucon t'inquiètes mais que tu ne peux rien faire car tu penses le trahir. Ne t'en fait pas, je m'occuperai de son cas. Si il s'avère qu'il te mets en danger, ainsi que mon Clan... »

Je sortais les griffes, les enfonçant dans le sable. Je ferai tout pour protéger mon Clan d'un traître. Il avait déjà pris une vie, il n'en prendrai pas d'autres.

La chatte ronronna, ce qui me fit quelque chose, à l'intérieur. Une douce chaleur. Je ressentais rarement cela, et c'était dommage. Cela me rappelait tellement mon enfance. Malgré mon encouragement affectif, elle semblait encore mal à l'aise vis à vis de moi.

« Je m'en veux de te faire vivre tout cela … »

J'esquissais un petit ronronnement. Je lui répondis aussitôt avec un ton léger en posant ma queue sur son épaule :

« Tu sais, on a beau avoir quasiment le même âge, j'ai forcément vécu plus de choses que toi. Je suis chef, rappelles toi. Je suis obligé de m'occuper des problèmes, sinon personne ne le fera et ça serait le chaos. »

Je n'avais pas vécu que des problèmes intra clanique ou inter clanique, ou juste des périodes de guerre et des périodes de paix. Il y avait eu des moments entre deux, des moments de tensions, ou des moments irréels, comme les rencontres avec le Clan des Étoiles. Il faut dire que dès que l'on est nommé lieutenant, chaque moment peut être défini. Paix, guerre, menace quelconque. J'avais eu assez d'expérience dans tous ces moments pour les gérer maintenant, mais chaque situation était nouvelle à sa manière.

Je tapotais vaguement son épaule avec ma queue :

« On s'en sortira, ne t'en fait pas. Je ne sais pas encore comment, mais je sais qu'on s'en sortira. On a vécu bien pire qu'un simple traître. On a combattu des clans tout entiers. »

Tant de guerres, tant de morts injustes. Fermant les yeux, je repensais à mes parents, morts devant deux guerriers du Clan de la Rivière sans foi ni loi. Mais au fond, même si cela m'a coûté dans mon cœur, le Clan a gagné et a survécu. J'étais chef de Clan désormais, quelque soit les sacrifices, je me devais de faire passer la survie du Clan avant tout.

« Le Clan a survécu, et survivra toujours. Le Clan passe avant tout le reste, surtout pour nous. »

Que voyait-on maintenant ? Un chef en pleine discussion avec son lieutenant, ou alors deux vieux félins se soutenant l'un l'autre pour le meilleur et pour le pire ?

Son ronronnement me fit plaisir et me rassura sur son état d'esprit. Mais d'un coup, la crainte se ralluma dans ses yeux et elle jeta un coup d’œil furibond à son épaule. Sans qu'elle s'en aperçoive, je jetais moi aussi un coup d’œil pour découvrir une cicatrice assez visible, même si ses poils avaient repoussé depuis. D'où venait-elle ? Cette blessure venait bel et bien d'un félin, avec un griffe sûre et droite. Mais il y avait pas eu de combat récemment, enfin à ma connaissance. Je la regardais dans les yeux. Me cachait-elle quelque chose ? Une quelconque escarmouche avec un camarade de Clan ? Pire, un renard ? Ou un ennemi éventuel ?

Elle semblait un peu mal à l'aise et je devinais qu'elle cachait vraiment quelque chose qui lui faisait honte. Enfin, elle se décida à se confier :

« Je t'ai caché quelque chose aussi … Il y a deux lunes environ, je me suis faîtes agressée à la frontière du Clan de l'Ombre par deux guerriers ennemis. Ils m'ont malmené je n'ai quasiment rien pu faire. Un guerrier du Clan de la Rivière m'a sauvé la vie, il est intervenu et à fait les premiers soins sur mes plaies … Esprit des Songes. »

Mes pattes tremblèrent à la simple mention de Clan de la Rivière. Je plantais aussitôt mes griffes dans le sol sableux de ma tanière. Je détestais voir ces faces de poissons, sentir leur odeur de poisson et entendre le nom de leur clan ! Par contre, j'éprouvais un malin plaisir à les affronter et à les vaincre. Je ne les supportais pas tout simplement ! Des cœurs de renards qui s'engraissaient à toutes les saisons et qui se pavanaient à l'Assemblée avec leur ventre bien trop gras. J'aurai beaucoup mieux accepté l'histoire inverse, des guerriers du Clan de l'Ombre qui se montre cléments envers une blessée.

Je n'allais pas m'énerver contre elle, elle n'y pouvait rien si ce guerrier était venu la sauver, par...gentillesse ?

Ne pouvant trop y croire, je lui posais la question de vive voix :

« Ce guerrier du Clan de la Rivière t'as aidé par....gentillesse ? »

Ma queue fouettait le sable, me faisant tousser au passage. Comment un guerrier du Clan de la Rivière pouvait-il être gentil ? Il était pourtant du même sang que ceux qui ont tué mes parents non ? Peut être qu'il avait échappé au venin de ces faces de truite ?

J'ajoutais, avec peu de sympathie :

« Il aura dévié du code du guerrier pour une bonne raison. »

Néanmoins, Je fus pris d'un doute. Si deux guerriers du Clan de l'Ombre avait agressé Songe des Océans, elle se trouvait donc soit près des Quatre Chênes, soit près du Chemin du Tonnerre qui nous séparait du Clan de l'Ombre. Comment un guerrier du Clan de la Rivière pouvait-il se trouver à cet endroit ? Encore aux Quatre Chênes, personne ne dira grand chose, mais sur notre territoire, c'est problématique. De plus, il avait fait un sacré bout de chemin si il était arrivé jusqu'à la frontière du Clan de l'Ombre.

« Et dis moi, où étais-tu lorsque ces deux guerriers du Clan de l'Ombre t'ont attaqué ? Aux Quatre Chênes ? »

Les Quatre Chênes était le seul endroit où la présence de membres de trois Clans pouvait être tolérée, et donc plausible. Sinon, un renard se cachait dans le terrier, c'était sûr.

La chatte avait l'air gênée. Gênée d'avoir avoué qu'elle avait été aidé par un chat ennemi ? Peut être. Je compatissais, moi aussi je n'aurai pas aimé qu'un félin d'un autre clan vienne m'aider, en pénétrant sur mon propre territoire. Mais la suite fut plus surprenante encore. Je m'attendais naturellement à ce qu'elle me dise qu'elle était au Quatre Chênes. C'était la seule option disponible.

« Ils étaient sur nos terres, je les ai pris en chasse et je me suis fait pitoyablement piégé ... »

Une embuscade ? Étrange. Pourquoi des guerriers du Clan de l'Ombre se seraient faufilés volontairement sur nos terres pour prendre une embuscade une de nos guerrière ? Pour en faire une otage, mais pour quelle raison ? Nous n'étions pas en temps de guerre, et Étoile du Feu Follet nous étais favorable, le Clan des Étoiles soit loué. Mais le Clan de l'Ombre était fourbe, et il ne fallait jamais l'estimer complètement en paix. Et puis, d'où sortait Esprit des Songes alors ? Un guerrier du Clan de la Rivière sur les terres du Clan de l'Ombre ? Les problèmes de frontières du Clan de l'Ombre ne me concernait pas, mais pouvait toujours m'apprendre si jamais ce n'était pas un problème justement. Le Clan de la Rivière et de l'Ombre s'étaient-ils alliés ? Dans ce cas, pourquoi donc ? Quel intérêt commun pouvaient-ils se trouver ? Les marécages ? Une guerre était-elle en approche ? A moins que le Clan de l'Ombre se trouve en difficulté pour nourrir son Clan, et il veut nous forcer à leur donner des lapins en échange d'otages. Mais si ils étaient allié du Clan de la Rivière, pourquoi ne pas leur demander de la nourriture à eux ? Ils ont des poissons par toute saison, ils peuvent en partager !

Toutes ces interrogations me troublaient, sachant que certaines se contredisaient, et surtout que je n'avais aucune réponse. Ma seule source de réponse se trouvait devant moi.

« Mh, je vois. Mais dans ce cas, d'où sort ce guerrier du Clan de la Rivière ? Il a dû faire un long chemin périlleux pour se retrouver là bas. »

Un air inquiet dans la voix, je la questionnais alors :

« Tu as senti une odeur forte de Clan de la Rivière mêlée à celle du Clan de l'Ombre récemment ? Peut être ont-ils conclu une alliance. »

Néanmoins, j'avais oublié le plus important. Je passais ma queue sur l'épaule de la femelle.

« Ne t'inquiètes pas. Je ne parlerai jamais publiquement de cet incident, sauf si il peut nous servir à l'avenir. Tu n'as pas à t'en faire, si les membres du Clan de l'Ombre respectaient vraiment le Code du Guerrier, ils ne t'auraient pas piégé. »

Pendant que je prononçais cette dernière phrase, je sortais les griffes en les plongeant encore une fois dans le sable. Que suis-je comme chef de Clan si je ne peux empêcher que mes camarades se fassent massacrer un à un par des félins fourbes et peu soucieux du Code du Guerrier ?

J'entendais Songe Des Océans respirer bruyamment, puis je vis ses yeux s'étrécir, comme si elle se concentrait pour essayer de se souvenir de ce jour. Je savais que ce n'était pas facile, mais j'étais meneur. Il fallait que j'ai tout les éléments entre mes pattes pour ne pas être pris de court lors d'une Assemblée. Il fallait que je sache tout.

La femelle répondit par la négative de la tête en grognant légèrement. Je répondis aussitôt par un claquement de queue. Je ne pouvais tolérer cela. Personne ne me grondait. Aucun des membres de ce Clan. Et si c'était un chat étranger, il pouvait le payer. Mais elle se calma aussitôt lorsque je la rassurais sur ces informations confidentielles.

Elle ronronna et posa son museau sur ma joue. Je fus surpris de ce contact chaleureux de tendresse. J'avais chaud sous ma fourrure. Rares étaient les chats pouvant se permettre quelque chose d'aussi proche, et actuellement seule Songe des Océans pouvait se le permettre. Malgré tout, ce contact me mettait mal à l'aise, sans que je n'esquisse un mouvement de recul pour autant. C'était....assez exceptionnel.

Elle resta près de mes oreilles, qui frétillaient sans savoir où se diriger. Fallait-il les pointer vers elle ou les garder en arrière ? Ou au contraire les laisser comme elles étaient ? Elle soupira, et mes oreilles se dirigèrent immédiatement vers elle. Je savais que la lieutenante allait dire quelque chose. Ou alors exprimait-elle simplement la joie d'être ainsi contre moi ? La joie, ou le bonheur ? Je n'eus pas le temps de continuer mes élucubrations de pensées car Songe des Océans prit la parole :

« J'attends des chatons Étoile Sombre ... »

J'allais lui dire bonne nouvelle et lui demander qui était donc le père de ces nouveaux venus, avant de me souvenir qui il était avant même qu'elle me le dise d'une voix rauque pleine de regrets :

« … de Serre de Faucon. »

Je réprimais un grognement, qu'elle dû sentir à cause des vibrations de ma gorge. Je m'éloignais aussitôt d'elle, en fulminant contre moi même à voix basse :

« Comment ais-je pu laisser une telle tare engendrer des descendants au sein de mon Clan. »

Je fis un trait dans le sable avec une de mes griffes.

« Heureusement, les chatons ne deviennent pas tous comme leur père. »

Je me retournais vers Songe des Océans, un peu mal à l'aise :

« Ne t'inquiètes pas, on s'en occupera bien. »

Quand je disais « on », je parlais bien du Clan n'est-ce pas ? Il valait mieux le préciser :

« Le Clan t'aidera pour t'aider à les élever pour qu'ils deviennent de grands guerriers. »

Je caressais le ventre de la reine avec ma queue. Malgré ses poils d'hiver qui commençaient à épaissir sa fourrure, son ventre arrondi pointait déjà. Sa fourrure d'hiver cachera encore son ventre quelques lunes. Cependant, une question me restait sur la langue.

« Dis moi, tu les regrettes ces chatons ? Enfin je veux dire, de les avoir eu avoir avec Serre de Faucon. »

Espérons que je n'avais pas été trop brusque. Il paraîtrait que les reines aimaient leurs chatons alors qu'ils n'étaient même pas encore nés. Elles ne s'en sépareraient pour rien au monde si elles avaient un cœur, et ce quelque soit leur père. C'était leurs chatons à eux en premier.

Songe des Océans était très perturbé. Elle semblait perdre ses moyens. Je bandais mes muscles. Avec ma question, j'avais peut être remué trop d'émotions d'un coup. Je connaissais pas le pouvoir dévastateur de l'amour, et c'était peut être mieux ainsi. Il pouvait malmener notre esprit pour nous donner des blessures encore plus vives que si elles étaient provoquées par des coups de griffe. Et nous faire perdre le sens des responsabilités. Parfois, je me disais que le code du guerrier devrait interdire à un chef d'avoir une compagne, mais il y avait eu beaucoup d'exemple de chef exceptionnels ayant eu des petits et une compagne. J'allais me poser une question très importante lorsque j'entendis un bruit de gorge. Je tendis les oreilles pour écouter la femelle :

« Je ne sais pas, enfin plus. J'aime Serre de Faucon mais ... »

Mais tu ne veux pas qu'il approche tes petits ? Elle avait les yeux fermés, et semblait sur le point de s'évanouir. Si elle chutait, je me jurai de la rattraper. Je n'avais pas envie qu'elle risque des complications si elle tombait sur le ventre. Enfin, en vérité je ne savais pas ce que ça faisait, si cela avait un quelconque impact sur ses futurs chatons. Mais je voulais parer à tout.

La voix brisée, Songe des Océans finit sa phrase :

« … il n'est plus là en ce moment et je ne veux pas élever ses petits seules. Je ne m'en sens pas capable et je n'aurai clairement pas la force de le faire. »

Un peu gêné, je devais quand même prendre une décision. Je savais ce qu'elle attendait de moi, et je ne savais pas si j'étais prêt mentalement. Elle voulait que je devienne son compagnon ou quoi ? J'allais m'attirer les foudres de Serre de Faucon ! Et puis, elle avait bien dit qu'elle l'aimait lui, pas moi. Et moi, je ne crois pas que je l'aime autant qu'un chat aimerai sa compagne. Je sais que je l'aimais plus qu'une simple amie, mais peut être pas autant qu'une compagne. Enfin, je ne sais pas, et ce n'est peut être pas le moment pour se poser la question. Je savais que Songe des Océans avait besoin de soutien, et maintenant.

Je m'approchais d'elle, et je passais mon museau de son oreille jusqu'à son flanc.

« Si tu as besoin de moi, je suis là et je serai là pour t'aider. »

La question de la paternité des petits me triturait la tête. Si je m'occupais beaucoup de Songe des Océans, pensera-t-on que je suis le père ? Qu'adviendra-t-il de Serre de Faucon ? Est-il au courant qu'il va être père ? Même si je n'ai pas peur de lui, car c'était mon guerrier, j'avais peur de l'avis de mon Clan et de ce qu'il pouvait colporter comme rumeurs. Un chef voleur de compagne, quelle belle nomination. Qu'un chef devienne père, c'est un événement normal, il en avait le droit, mais qu'un chef soit un si mauvais exemple pour ses guerriers, je ne pouvais le concevoir. Je voulais aider Songe des Océans, mais je ne voulais pas mettre en péril mon honneur et le respect qu'on avait envers moi.

Je m'empressais de lui poser la question, à voix basse :

« Est-ce qu'il est courant de ces chatons ? »

Je savais que j'avais eu une voix un peu rude, comme si je lui reprochais encore d'avoir eu des chatons avec lui.

« Il faut que je le sache. On peut encore le cacher au Clan. »

Je savais que mentir n'était pas vraiment une solution pour lui, et sûrement pour elle, mais je ne sais pas non plus comment le Clan réagirait si on lui annonçait que Serre de Faucon avait des descendants. Déjà qu'on m'avait reproché de ne pas l'avoir banni, on risquerait de me le reprocher à nouveau.