« La jeunesse est l'impertinence de l'âme. »

Aujourd'hui t'es de sortie. C'est pas inhabituel. T'es souvent en dehors du camps. Pas que t'aimes pas la compagnie de tes camarades. Non, c'est ta famille. On ne se lasse pas de sa famille. Bien que certains, t'en flanquerai bien par terre. Comme ces satanés apprentis qui croient tout connaître de la vie sans en avoir vécu le quart. A ceux là tu ferai bien rougir les oreilles. T'aimerai pouvoir leur mettre une bonne raclée de temps à autres pour qu'ils se rappellent toujours que le pouvoir vient d'en haut et pas d'en bas. Mais bon, tu vis dans un Clan, t'es pas tout seul. C'est pas toi qui commandes, tu dois te faire violence pour t'en souvenir. Souvent, t'en souffre d'ailleurs. Il faut dire que t'as rejoint ces braves chats parce que leurs idéaux te plaisaient et te plaisent encore, mais t'étais pas vraiment prêt à vivre en communauté. T'es du genre solitaire. Enfin, plus maintenant il paraît. A ton grand dam, tu t'es adoucit. Ça, c'est de leur faute. Ton cœur est devenu plus tendre. Chaque jour, t'essaie de sortir t’isoler pour te rappeler la dure vie de solitaire. Un moment seulement, car tu n'a pas envie de dévoiler à quiconque ta faiblesse : la communauté.

Enfin, c'est à la fois ta faiblesse et ta force. C'est pour ça qu'aujourd'hui, t'as décidé de te rendre un peu plus utile que d'habitude : tu veux briller. T'as décidé d'aller chasser. Ah ! Tu te surprends toi même ! Le pire chasseur du clan, c'est peut-être bien toi. Enfin, ici, ça n'est pas une insulte. Car le Clan du Vent forme les meilleurs chasseurs de tous les clans ! Alors, être seulement mauvais, ça revient à être bon dans les autres clans... n'est-ce pas ? Tu te rassures, en sortant du Clan. Tu préviens de ton départ et en avant. Tu file vers les plaines, l'air frais de l'hiver emplis tes poumons. Tu bat le sol de tes pattes épaisses, tu retrouve l'appelle de la nature. T'es un fauve qui éveille les environs en passant. T'ébouriffes l'environnement. Tu files jusqu'aux plateaux. Y'a du vent, aujourd'hui, c'est ce qui explique le peu de nuage qui ornent le ciel. Il fait froid, à cause du vent. Voilà ta conclusion.

Courir te fait du bien. Courir te remémores des souvenirs pas si lointains. T'aimes le vent dans tes oreilles. T'aime l'herbe fraîche sous tes coussinets. Soudain, le fumet d'un lapin te ramènes à la réalité. Ta lame est aiguisée, mais les sens sont émoussés. Te te places en traqueur, tu marches de façon à ce qu'elle te ne perçoive pas. Chasser les proies mangeable c'est pas ton truc. Toi ce que tu préfères, c'est les proies dont tu peux te délecter sur le long terme. Celles que tu peux savourer la tendresse plusieurs lunes durant. Celles que tu peux garder vivante et celles que tu n'as pas à partager. T'es pas très agile, en plus de ça. Un comble, pour un guerrier qui court avec le vent. Tu sais te cacher dans l'ombre, t'abattre sur tes ennemis comme la foudre, bondir comme les vagues des grandes étendues d'eau et te ruiner les pattes en compagnie du vent. Pourtant, t'es pas un bon chasseur. Un bon combattant, ça oui.

Alors que la proie se rend compte de ta présence, tu bondis derrière elle. Mais rapidement, t'abandonne en pestant. Tu feule de rage. Un autre fumet se fait alors sentir. Ton clan, t'en es sûr. Une patrouille ? Non, le félin est seul. Voilà qu'apparaît alors le jeune Nuage de Braise, fier apprenti. Insupportable à tes yeux, comme tous les jeunes aspirants. Tu roule des yeux, te tient bien droits, les babines légèrement retroussées. Tu ne cache pas ta fureur : après la proie, mais également après l'impertinent qui vient te voler dans les plumes.

- Bonjour, Jour de Guerre. Comment vas-tu ? Je t'ai vu louper ce lapin, aurait-tu du mal à la chasse ? Cela est dommage, il avait pourtant l'air plutôt lent et malentendant, pour un lapin.
- Ah oui, tu m'as vu rater ce lapin. Mais ce n'est qu'un lapin, aussi malentendant soit-il et aussi sénile puisse-t-il être. A l'évidence, le vent n'était pas en ma faveur. Ma chasse n'est pas excellente...

Tu te rapproche lentement du mal-appris.

- ...mais m'as tu déjà vu combattre ? Oh, non. Je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas né le derrière bordé de mousse. J'ai appris à chasser avec un vieux solitaire, je me suis fait moi même. Personne ne m'a tenu la patte. Je suis peut-être un mauvais chasseur de ce genre de proies. As-tu déjà traqué autre chose que ces lièvres dont tu vante devant moi la facilité de capture ?

Te voilà à une queue de renard de l'apprenti.

- As-tu déjà traqué une proie puante de peur ? As-tu déjà éprouvé le plaisir de la victoire, autre que sur ces rats aux grandes oreilles ? T'es-tu déjà demandé quel chemin prendrait ensuite le fuyard pour échapper à la danse funeste qu'il partagera sous peu avec la mort ? Tes rats ne sont rien. Tes rats, j'en ai attrapé des dizaines dans ma misérable vie.

Te voilà collé à son museau.

- Qu'en est-il de toi, Nuage de Braise ?

Reculant sans lâcher le regard du félin, tu laisse ton courroux transparaître. Néanmoins, tes paroles visent d'abord à effrayer quelques peu l'apprenti. T'y a peut-être été un peu fort. Tant pis, il prendra ce qu'il voudra... ou pourra.

« La jeunesse est l'impertinence de l'âme. »

T'as peut-être un peu abusé. Quoi ? Des remords ? Tu ne connais pas ce terme. Tu redresse les oreilles. Ouf, tu as failli devenir faible. Tu ne laisse rien transparaître, tu n'es pas ce genre de chat, faibles et mous, qui reviennent sans cesse sur leurs jugements. Et vas-y que je te gronde et vas-y que je m'excuse. Oh, je me suis trompé pas vrai ? Non. Tu n'hésites pas. Bien sûr, les autres ont le droit de gagner ton respect. Tu peux revenir sur ton jugement avec beaucoup de mal et surtout avec beaucoup de raisons. Or, dans le cas de l'apprenti, tu ne reviendra pas. Premièrement parce qu'il t'as manqué de respect et deuxièmement parce que c'est un apprenti. Un chaton. Il gagnera une partie du respect qui lui est dut si il parvient à gagner son nom de guerrier. Pas avant et surtout pas avec toi. Tu te demandes alors qui est son mentor. Certainement pas toi, cette scène ne serait pas arrivée sinon.

Tu dévisage le jeunot, qui semble avide de pardon. Il ploie si facilement ! Le voilà qui se confond en excuses. Tu plisse les yeux, secoue la tête, lève les yeux au ciel. Ces deux yeux vairons qui implorent tes ancêtres de te soustraire à cette entrevue. Tu continue de secouer la tête en faisant face à l'apprenti. Tu te contente de lancer, après ce silence :

- Qui est ton mentor, petit ? A ton âge, je lui aurait cassé le museau, à celui qui se serait interposé.

Puis tu te rends compte qu'encore une fois, t'es un imbécile. La vie de Clan demande de l'ordre, pas des apprentis qui se battent avec leurs aînés à tout bout de champ. Tu serre la mâchoire et te rattrape alors :

- Je veux dire... pas... casser le museau. Enfin, pas comme tu l'entends. Tu... ah, oublis ça. Je n'ai pas à t'apprendre à avoir de la répartie qui te vaudra des lunes de corvées.

Tu te remémore les fois où t'as été remis en place par les autres. T'as appris à toi même les remettre en place avec finesse, en t'en tirant toujours pour avoir le dernier mot. Soudain, t'as presque envie d'aider cet apprenti. L'aider à ne plus montrer de faiblesse. Tu t'approche de lui, les yeux levés au ciel :

- Ecoutes, petit. Quand j'avais ton âge, y'avait toujours les chats errants pour me rappeler quelle crotte de renard j'étais. Si tu ne sais pas remettre en place un chat qui te marche sur les pattes, alors tu te fera manger tout cru dans la vie. Mais il y a un mais. Si tu ne sait pas le faire en finesse, tu risque de finir avec des lunes et des lunes de corvées alors... il faut que tu apprennes à trouver les failles d'un discours tenu par un autre chat. Un truc... infime qui... enfin, je ne suis pas ton mentor, je n'ai pas à t'apprendre des trucs je supposes.

Attends, qu'est ce que tu viens de faire ? Tu viens vraiment d'essayer de tendre la patte à ce chaton ? Tout ça pour lui faire oublier que tu viens de rater une proie en plus. Enfin, tu le fait pour ça pas vrai, et pas pour autre chose. N'est-ce pas ?

♥: