Je n'arrêtais pas d'y penser . A cette absence d’amour, de famille, de présence réconfortante. Ce manque, j’avais toujours su le nier aveuglement et parfaitement, sans la moindre hésitation. J'avais fini par y croire moi-même .A me complaire dans la noirceur, j'étais devenu une ombre , un fantôme .  

Je m'étais jusque-là accommodé cette image que j’inspire, j’étais même   persuadé avoir fusionné avec elle. J'avais toujours été certain que la vie se devait d’être cette fade chose, pleine de rancœur et de haine. Je haïssais alors ce qui me semblait être les idiots , les inconscients. Ceux qui affichent un sourire, rayonnaient, riaient. Comment font-ils pour tromper le système ? La faiblesse suintait de tous les pores de leur peau . Mais au fond, peut-être que la vraie force était de garder ce sourire ironique face à la cruauté de la vie, de continuer de profiter d’elle malgré ce qu’elle inflige . En quoi se détruire intérieurement et pousser son âme au bord de la déchirure est une force supérieure à celle de narguer la vie ?  Tout ça pour finalement devenir une loque  qui est lasse de traîner sa carcasse , une présence que l’on sent planer sur soi mais dont on essaie avec acharnement d'oublier l’existence.

Moi-même j’avais fini par m'oublier ,  vivant ma vie dans  le mensonge et la duperie , des autres comme de moi-même . J’ai choisi de jouer avec ma vie et lorsque l’on joue, on prend le risque de perdre. J'ai perdu . Je me suis perdu. Je ne ressens plus rien .

Sur  le noir chemin de la vie, les faibles se voyaient anéantis; ainsi j’adoptais le rempart de l’insensibilité. Et pourtant,  n’est-ce pas moi qui est atterré, cherchant désespérément un réel but à une existence que je savais faussée de toute pièce ? N’est-ce pas moi que le bonheur fuyait ? N’est-ce pas moi que cette stupide voix  hante  de reproches accablants ? Au fond, en voulant être le plus fort à tout prix, n’étais-je pas devenu le plus vulnérable, le plus seul de tous ?

C'est alors que je réalisa quelque chose . Il fallait que je renoue avec ma famille . Avec cette mère qui m'avait abandonnée , avec ce père que je n'avais jamais connu . Et je savais parfaitement où les trouver : au Clan de la Rivière ! Aussitôt , je me levais et me mis en marche . J'aurai normalement conçu un plan élaboré pour parvenir jusqu'au Camp , fait des repérages à l'avances etc. Mais j'étais pris d'un désir fiévreux et impatient .  Le soleil était à peine levé et personne n'était là pour empêcher ma progression , j'arrivais donc assez vite sur les Terres de la Rivières . J'étais totalement désorienté . Des chutes en face de moi provoquaient un tumulte assourdissant . Des rivières claires s'étendaient à perte de vue . J'étais définitivement sur la bonne voie , mais où aller maintenant ?

Le soleil se levait à peine, j'étais de plus en plus impatiente de me retirer aux chutes... Elles devenaient ma seule source de vie, d'espoir, de renouveau! ALORS je partis sans un bruit de la tanière des guerriers. Je marchais doucement mais sûrement , pas à pas... Je méritais ce qui m'arrivais, si je n'essayais pas d'aider tout le monde et de me mêler des affaires qui ne me regardaient pas... Le bleu azur resplendissant du ciel me fit reprendre les rennes de ma conscience... Le soleil grandiose apparaissait déjà dans le ciel. J'avançais la tête haute avec fierté, il fallait que je m'assume et que je sois plus sociable et plus "moi-même" cette pensée trotait dans mon crâne, moi-même... Mais qui étais-je vraiment? Ma faculté à analyser chaque chose me fis percevoir ce manque. Je n'ai jamais pris le temps de m'occuper de moi... Je manquais de confiance en moi j'en étais certaine, mais qui pourrait m'aider à surmonter ces épreuves... Le camp et mes camarades devenaient de plus en plus étouffants, je m'y sentais à ma place, mais mes escapades permettaient de me retrouver et de me reposer. L'eau tumultueuse se fit entendre, mais autre chose se fit percevoir; l'odeur d'un félin d'un autre clan.... Alors mon cerveau réfléchit à une vitesse fenomenale; je courus de toute mes force. Il avait l'air perdu mais mon altruisme ne devait pas prendre le dessus... Je grimpait à une vitesse foudroyante sur un rocher et lui sautai dessus avec précision et force. Je le plaquais au sol. Je le fixais... Pourquoi tout les chats sont toujours plus robustes et plus grands. J'attendais qu'il me repousse et que l'on déclanche une bataille mais ses yeux scintillaiant d'étonnement. Pour une fois que j'avais le dessus...

Je fus soudain cloué au sol par un poids inconnu . Un guerrier du Clan de la Rivière ! Plutôt une guerrière à l'odeur . Quel imbécile je faisais ! Preuve était faite que se laisser guider par les sentiments rendait idiot . Qu'est ce qui m'avait pris de m'aventurer à l'aveuglette comme ça ? Je me fis la promesse que lorsque je me serais sorti de ce pétrin , plus jamais  je n’essaierais plus de " m'ouvrir au monde . "

Qu'étais-je censé faire maintenant ? L'attaquer serait un acte d'une aberration phénoménale . Elle avait l'avantage du territoire , de la position et du nombre . Les membres de son Clan pouvaient rappliquer à chaque instant . Mais je ne pouvais pas non plus m'aplatir devant elle ! C'était contraire à chacun de mes principes . Je me relevais violemment pour l'éjecter de mon dos avant qu'elle n'y plante ses griffes . Maintenant que je n'étais plus face contre terre , je l'observais . Il  s'agissait d'une petite chatte blanche faiblarde et chétive . Je n'aurai aucun mal à la tuer si je le voulais . Le bon souvenir de la folie meurtrière qui m'avait pris il y a quelques jours me revenaient . Tout ce sang , ces cris ... Malheureusement je ferais preuve d'ineptie . On ne tarderait pas à remonter jusqu'à moi . Ce n'était pas dans mon intérêt .

De plus , elle semblait tellement fragile ,  tellement malléable , tellement manipulable ... J'avais eu de la chance de tomber sur elle . Autant l'utiliser . Je rentrais mes griffes et baissai ma garde pour la mettre en confiance . Intérieurement pourtant , j'étais prêt à bondir sur elle et lui trancher la jugulaire si elle avait la mauvaise idée de m'agacer .

" Je ne suis pas venu ici avec des intentions guerrières . "

"Je n'est pas d'intentions guerrières" m'avait-il dit avant de m'éjecter sur un rocher où je me cognai avec force. Ma tête me faisait horriblement mal... Quelle impression je faisais de mon clan à cette brute... J'étais pétrifiée moi qui croyais que j'allais pouvoir me ressourcer. Je sentis un goût de sang dans ma bouche, un filet de sang coulait le long de mon museau. JE me resaisis et me levai péniblement, le coup m'avait sonné mais je devais garder ce qui me restais d'honneur. Alors je fis mine de rien sentir et d'un revers de patte je m'essuyai le sang qui coulait de ma mâchoire. Je lui fis face et lui dis:
Alors que fais-tu là ombreux?
Je me tenais, adossée sur le rocher, mes pattes tremblaient. J'en faisais un peu beaucoup pour un petit coup mais je ne dormais pas beaucoup en ce moment ni je mangeais d'ailleurs. Ce qui me rendait encore plus faible que ce que j'étais déjà... Il devait me trouver pathétique... Je n'étais pas fière de moi... J'arrêtai de me reposer sur la pierre et je me tins debout, je sortis crocs, griffes et le regardai en face...

-Alors que fais-tu là ombreux?

Je savais que je devais m'attendre à cette question mais je me crispai . Je ne pouvais pas lui révéler la vérité. Que pouvais-je dire ? Que j'étais un bâtard de la Rivière à la recherche de son père ? Ridicule ... Je ne savais rien de lui , et il était plus que probable qu'il ne veuille jamais me reconnaître . Je ne me souvenais pas plus de ma mère .  J'aurai juste l'air d'un menteur ou , au mieux , d'un fauteur de trouble . Je pris le temps de réfléchir à une réponse correcte , observant mon interlocutrice . Le rocher qu'elle avait percuté la soutenait . Ses membres tremblaient .  Comment avais-je pu la mettre dans un tel état avec un seul coup ? Il y avait anguille sous roche ... Elle avait l'air si faible et chétive . Les matous du Clans de la Rivière étaient tous massifs , puissants et bien nourris . La rivière regorgeait toujours de poissons , si bien que leurs techniques de chasses terrestres étaient laissées de côté . Étaient-ils en soudaine pénurie ?

La petite chatte blanche changea soudainement d'attitude . Elle se décolla du rocher , griffes et crocs sortis . Un petit rire sardonique mon monta à la gorge . Essayait-elle de m’impressionner ainsi ?  On aurait presque dit un chaton frustré . Il y avait peut-être moyen que je m'amuse un peu avec elle .

-Qu'est ce que tu essaie de faire ? mon ton n'était pas menaçant , mais plutôt condescendant Si tu crois que tu peux extorquer mes secrets ainsi , tu fais une erreur monumentale . Retourne à la pouponnière et laisse les grands faire ce qu'ils ont à faire . Je m'approchais d'elle , la dominant par ma taille .

Mon attitude était en apparence relaxée mais j'étais sur le qui-vive , prêt à bondir à chaque instant .

Il me demanda qu'est ce que j'essayais de faire. Alors que mes pattes pouvaient enfin me supporter, je rentrai crics et griffes, je m'assis et secouai mon pelage. Je commençais une toilette et me détendis.  Il me dominait, mais je fis mine de ne rien remarquer. Il avait beau me fairé face, je ne m'en souciais point. Je lui d'un ton sans appel :
Écoute, tu n'as rien à faire là, moi non plus d'ailleurs. Alors ce que je vais faire, c'est que je vais rester là à admirer les chutes le temps que tu te défoule sur le rocher, ensuite je repartirai dans mon camp sans dire mot à mon lieutenant, et on ne se reverra plus. D'accord? En Quelques instants, j'étais en haut du rocher, couchée et je regardai l'eau tumultueuse jouer de sa force. Je jetai un coup d'oeil vers le grand chat qui me paraissais plus... petit de mon rocher. Je me demandais comment il allait réagir à ma tirade. Son pelage frémissant de colère me tapa à l'oeil, il contrastait avec ses yeux que je vis pour la deuxième fois vêtue du voile de l'étonnement. Cela me fis sourire. Je redescendis et sautai agilement sur le sol. JE marchai devant lui sans peur ni fierté. Je ne voulais en aucun cas déclancher une guerre entre les deux clans. Le soleil avait bien avancé dans sa course vers le crépuscule. Alors je me retournai, et lui dis;
Je n'ai en aucun cas besoin d'être massive ou aussi grande que toi pour me défaire de ce genre de situation. je le regardais en face, comment allait-il réagir?

Elle fit alors ce à quoi je m'attendais : elle rentra les griffes , rengaina ses crocs et s'assit . Elle avait renoncé à se battre . La petite chatte se savait en position d'infériorité physique . Allait-elle tentait de briller avec intellect et diplomatie ? Dommage , il y avait trop longtemps que je n'avais fait couler le sang . Sa voix s'éleva , trop ferme et autoritaire à mon goût . J'aurais espéré qu'elle soit au moins quelque peu tremblante .

- Écoute, tu n'as rien à faire là, moi non plus d'ailleurs. Alors ce que je vais faire, c'est que je vais rester là à admirer les chutes le temps que tu te défoule sur le rocher, ensuite je repartirai dans mon camp sans dire mot à mon lieutenant, et on ne se reverra plus. D'accord?

Me défouler sur le rocher ? Pour qui me prenait-elle , un chaton égaré . Et ce ton condescendant ... Et bien non , je n'étais pas d'accord ! Elle n'attendit pas de réponse et se hissa sur le rocher , admirant les chutes . Était-ce comme cela qu'ils géraient les intrusions ? Pas étonnant que le Clan de Tonnerre leur prenne toujours les rochers du soleil . Je ricanais lorsqu'elle sauta du rocher et parada devant moi .

- Je n'ai en aucun cas besoin d'être massive ou aussi grande que toi pour me défaire de ce genre de situation

La blanche me regarda dans les yeux , fière de sa tirade . Elle prenait un peu trop la confiance .

- Hm , vraiment ?

Sans lui laisser le temps de réagir , je la fauchai et me plaça au dessus d'elle . J'aurai aimé prendre le plaisir de l'intimider plus mais elle était leste et rapide . Tant pis pour la mise en scène , j'allais devoir attaquer sans finesse . Je plantais profondément mes griffes dans la peau sensible de son ventre avant de les tourner dans la plaie puis de les tirer vers le bas , déchirant sa peau . Déjà , le sang commençait à affluer . Comment allait-elle s'en tirer ? La douleur semblait insoutenable pour elle .