L’odeur des plantes t’entourait et t’enivrait, t’empêchait de te perdre trop profondément dans tes pensées et dans ton monde, empêchant la musique de venir te prendre pour te retirer toute conscience de ce qui pouvait t’entourait et tu respirais profondément comme pour que tes poumons ne manquent plus jamais d’une telle effluve. Tu avais passé la journée dans la tanière des guérisseurs en regardant les tas de plantes avec plusieurs petits bourgeons qui n’étaient plus utiles. Ce serait peut-être à toi de les enlever, peut-être. Tu te souvenais des lunes passées dans ce gîte isolé du monde extérieur parce que la maladie s’était emparée de ton être, mais pas seulement, puisque tu t’étais aussi blessé. À deux reprises. Un renard et un monstre. Tu avais seulement voulu les voir de plus près, les monstres. Tu te disais qu’avec l'appellation qu’on leur donnait, ils ne pouvaient que te ressembler, être comme toi, mais visiblement, contrairement à toi, ils sont totalement et entièrement aveugles. Tu ne te trouvais pas à être aveugle toi, même si parfois tu perdais contact avec la réalité vraie, ceux dans laquelle tous les autres chats semblaient vivre en permanence comparativement à ta personne. Mais sinon, tu voyais parfaitement bien et tu ne fonçais pas dans les autres chats. Le monstre, lui, t’avait percuté et avait poursuivi son chemin sans jamais se retourner, comme si en plus d’être aveugle, il était totalement insensible et n’avait pas remarqué qu’il avait heurté quelque chose qui n’aurait peut-être en effet pas dû se trouver là.
Il avait passé la journée ici. Il s’était fait dire qu’il était le mieux placé pour reprendre le navire maintenant que la guérisseuse n’était plus là parce qu’elle n’avait pas d’apprenti et que lui, et bien… il n’avait pas de mentor non plus. De toute façon, il n’avait jamais pu réussir l’évaluation pour devenir guerrier sans compter les accidents et les blessures et à cela s’ajoute la maladie qui l’avait cloué au lit pendant qu’il était encore en convalescence. Aujourd’hui, il allait mieux physiquement. Pas encore totalement rétabli, encore un peu faible, mais il s’en sortait. Pourtant, il n’était toujours pas guerrier et quelque part, sans doute ne pourrait-il jamais le devenir puisque pendant les batailles, les parties de chasse ou encore les entraînements tout simplement, son esprit s’évadait et se perdait dans les failles d’une dimension que nul ne pouvait comprendre et il s’immobilisait parce que plus rien ne venait à exister en dehors de ce qui apparaissait dans ses pensées. Mais quand les plantes étaient autour de toi, quelque chose te permettait de t’enraciner dans la réalité, peut-être était-ce l’odeur entêtante et forte, irritante peut-être quelque part, des remèdes utilisés pour guérir les chats du Clan, permettre à la Vie de prendre du terrain, mais aussi donner la capacité de faire prendre un peu plus de terrain à la Mort quand on y pensait vraiment. Parce que les baies empoisonnées et d’autres remèdes pouvaient permettre à la Mort de venir, de prendre un chat plus rapidement que si on laissait le temps faire. Ça, tu le savais parfaitement. Et les plantes te permettaient de continuer de rester conscient de ceux qui t’entouraient.
Peut-être que c’était pour ça aussi. Parce que tu ne pouvais pas devenir guerrier et qu’ils avaient remarqué que tu étais un peu plus alerte lorsque tu te retrouvais dans la tanière des guérisseurs. Peut-être que c’était pour ça que le meneur avait décidé que tu allais être celui qui remplaçait Aile Brisée. Mais peut-être aussi parce qu’il savait que tu avais passé beaucoup de temps dans la tanière des guérisseurs à cause de quelques problèmes et que tu avais eu le temps d’en apprendre pas mal sur les plantes et leurs propriétés. Après tout, enfermé là-bas, sans pouvoir vraiment te lever, quand tu n’avais rien à faire, c’était la seule chose qui pouvait t’occuper l’esprit outre dormir et tu n’allais quand même pas dormir constamment. Bien que tu aurais pu le faire. Il n’avait pas tord. Tu avais appris auprès d’Aile Brisée. En l’écoutant parler, en lui demandant quelques petites questions, en la regardant faire, tu avais lentement appris et tu avais pu assimiler ce qu’elle disait et racontait, faire des liens et tu savais maintenant. Tu savais une grande quantité des plantes. Bien que tu ne savais pas toujours tout, et que tu pouvais facilement faire des erreurs. Tu en savais une partie, n’était-ce pas là l’essentiel ? Tu en savais plus que les autres. C’était sûrement le critère déterminant. Mais peut-être que tu aurais besoin de l’aide des autres guérisseurs. Peut-être. Tu avais passé la nuit debout. Tu ne savais pas comment faire, quoi faire, comment dire, tu étais resté entouré de l’odeur forte et apaisante des plantes, mais ton coeur ne s’était pas calmé parce que tu n’étais pas certain du choix du meneur et qu’en toi, ça faisait naître des sentiments. Ça te perturbait. Tu n’avais pas l’habitude. C’était léger. Très peu présent, mais l’incertitude venait de se loger dans ton coeur et tu n’en avais pas l’habitude toi qui ne ressentais que la peur et l’irritation. Maintenant tu connaissais l’incertitude. En fait, tu n’étais même pas certain de ce que c’était, tu ne savais pas c’était quoi cette pointe de ressentiment qui s’allumait et t’empêchait de dormir, qui ressemblait à de la peur, mais qui n’en était pas, parce que tu ne l’avais jamais ressenti.
Tu t’ébrouas en jetant un regard circulaire sur l’espace vide. Tu ne te souvenais pas des circonstances de la mort d’Aile Brisée. Était-elle seulement morte ? Peut-être qu’elle avait disparu tout simplement. Ou alors c’était un meurtre, ou une mort naturelle. Qui sait ? Tu ne parvenais pas à t’en souvenir. On l’avait sûrement dit dans le Clan, mais dans ton esprit, cette information se cachait, s’enfouissait quelque part, dans trop de brumes, pour que tu ne puisses te souvenir. Tu grattas le sol de tes griffes. Bientôt, tu allais devoir partir. Très bientôt, tu allais devoir rejoindre les autres guérisseurs à la Pierre de Lune parce que c’était la demi-lune et que c’était seulement à ce moment précis que tu allais pouvoir savoir si le Clan des Étoiles acceptait que tu ne remplaces Aile Brisée. Il le fallait, parce que le Clan de l’Ombre allait avoir besoin d’un guérisseur. Déjà que pendant ton trajet, ils se retrouveront sans le moindre guérisseur pouvant les soigner et que le seul qui pourrait vraiment le faire, c’était toi. Il fallait seulement maintenant espérer que rien de grave n’arrive pendant que tu étais parti pour rejoindre les autres guérisseurs pour recevoir une approbation des étoiles. Tu entrepris une toilette rapide avant de sortir pour la première fois de la tanière des guérisseurs et tu y rentras de nouveau. Il ne fallait pas que tu te perdes dans tes pensées parce qu’autrement, tu n’arriverais pas à temps, alors tu ne pouvais pas partir. Pas comme ça. Tu approchas d’une plante et tu en pris une pour la frotter contre ton poils. L’odeur entêtante allait te suivre, comme ça. Tu pus sortir et commencer le chemin pour rejoindre les autres guérisseurs et tu finis par y arriver. Le trajet fut assez pénible, mais l’odeur restant, tu pus parfaitement y arriver à temps et ce fut l’essentiel. Quand la lumière de la lune emplit la Pierre de Lune et provoqua des milliers de petits cristaux de lumière autour de vous, tu t’allongeas et posas ton museau contre la Pierre de Lune, imitant au final les guérisseurs qui avaient l’habitude de le faire. Tu ne leur avais pas parlé, au final. Tu avais rien dit. Enfermé dans ton silence.
Quand tu finis par ouvrir tes yeux, tu pus observer un territoire vaste et vide devant toi sans savoir où tu te trouvais. C’était la toute première fois que tu t’étais rendu au territoire des Hautes Pierres et que tu avais posé ton museau contre la Pierre de Lune, alors tu ne savais pas comment les choses fonctionnaient, pas plus que tu avais conscience de l’endroit dans lequel tu te trouvais, toi qui n’avais jamais pris le temps de te demander si tu croyais au Clan des Étoiles ou non parce que tu n’y pensais pas, au Clan des Étoiles. Tes pensées prenaient déjà beaucoup trop de places avec les voix. Tu regardais tout autour de toi. Au final, tu pus percevoir un mouvement au loin et une féline finit par se montrer le bout du museau et tu ne pus que la reconnaître. Jamais tu n’aurais pu te demander qui était là, devant toi, en cet instant précis : Bois de Hêtre se trouvait devant toi, tout comme elle l’avait été auparavant dans le Clan de l’Ombre, guérisseuse du Clan qui t’avait pris en charge quand la patrouille t’avait ramené en te pensant sourd. C’était elle qui avait affirmé que tu ne pouvais pas t’en sortir seul, en dehors du Clan. C’est elle qui avait fait en sorte que tu fus accepté dans le Clan parce que tu ne pouvais pas vivre seul. Tu ne pouvais pas l’oublier même si ta mémoire n’était pas toujours la meilleure. Elle t’adressa un sourire. Elle t’expliqua alors qu’elle s’excusait pour les conditions difficiles et particulières du Clan de l’Ombre et qu’elle te félicitait pour ton nouveau poste. Elle s’approcha de toi, te frôla et dans un murmure, elle te salua avec un nouveau nom.
Réalité Illusoire . Et ensuite, tout s’effaça pour te laisser te réveiller en sursaut aux côtés des autres guérisseurs qui ne savaient toujours pas ce qui se passait au sein du Clan de l’Ombre. Mais maintenant, tu savais que tu pouvais revenir en disant au meneur que le Clan avait un guérisseur parce que le Clan des Étoiles t’avait accepté. Et tu avais autour de toi aussi l’odeur de la vieille guérisseuse. Tu n’étais plus seul.
À 36 lunes, ou plus exactement 34, même si tous pensaient 36, tu avais enfin une voie et pour la première fois, tu réalisas que tu t’étais demandé si tu allais en avoir une.
- Adrenalean 2016 pour [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien].