Les yeux qui clignaient, mes muscles endoloris, je me réveillais sur ma litière. C'était déjà l'aube ? La lumière se déversait comme une rivière dans ma tanière. Sûrement midi, enfin je crois. Je me levais doucement, mes os se dénouant difficilement. Un voile dans ma gorge me rappelait la maladie que je venais d'avoir. Un terrible mal blanc, visiblement, car j'avais perdu une vie. Pourtant, le guérisseur m'avait assuré que je n'avais pas attrapé le mal vert, j'en étais convaincu. Mais mes ancêtres m'ont confirmé la version du guérisseur. Les guérisseurs ne mentaient pas. Et en me sentant si léger, sur l'herbe étoilée des Quatre Chênes, j'avais compris que mes jours étaient désormais comptés. Je ne m'étais pas senti vieillir, j'avais l'impression que pendant cette saison des neiges, j'avais pris cinq ou six saisons.

En tout cas, je n'étais pas un ancien râleur, j'étais toujours le chef de cette tribu, je n'avais pas à paresser dans mon antre si je pouvais sortir. Je clopinais pour mettre mon museau, puis tout le reste de mon corps au soleil, devant les yeux ébahis de mes congénères. J'avais presque envie de les regarder d'un air de défi, mais le vent qui soufflait me poussait à sortir, fouler mon territoire, le ressentir.

Sans regarder les autres chats qui m'entouraient, je trottais vers la sortie du camp. De toute façon, il n'y avait presque personne, les patrouilles étaient déjà parties, je le sentais sur le chemin. Chasser pour la plupart, mais je ne voulais pas que l'on néglige la défense des frontières. Depuis la dernière Assemblée, qui avait eu lieu il y a longtemps car la lune s'était voilée, je ressentais les tensions entre les Clans, elles me rongeaient les os. Il fallait que je galope pour ne plus ressentir ces douleurs.

Mais bientôt, mes poumons brûlèrent. L'air était trop froid. Je ralentissais graduellement, pour m'arrêter au pied d'une colline. Haletant, je grimpais, appuyant sur mes pattes. J'avais l'impression de peser aussi lourd qu'un rocher des Hautes Pierres. Une fois en haut, je m'assis et je regardais au loin, savourant la vision de mon territoire qui s'étendait, jusqu'à voir la forêt et les rares plaines du Clan de la Rivière. Depuis combien de temps n'avais-je pas pris le temps de regarder tout cela ? D'un coup, cela se présentait à moi comme une nécessité, comme si bientôt, je ne pourrai plus admirer ce paysage.

Je me secouais et je regardais plus en contrebas. Une petite forme, seule, avançait d'un pas rapide dans la lande. Il était, je pense, assez souple pour être un chat. Il n'avait pas l'air de chasser, et aucun félin ne patrouillait seul. J'en déduisais que c'était un intrus. Je sortais les griffes et je descendis plus vite que mes pattes ne le pouvait. Je dus m'agripper à la terre pour ne pas déraper et me résoudre à aller intercepter le chat plus lentement. De toute façon, j'étais largement capable de le renvoyer chez lui, voire hors de mon territoire.

Je ne pris même pas la peine de me cacher, je sentais l'odeur du Clan du Tonnerre. Au moins, cela ne m'énervait pas autant que si ça avait été un chat du Clan de la Rivière. Néanmoins, je me rendis compte qu'il m'avait dépassé, ou alors que j'avais été dans la mauvaise direction.

Je retrouvais l'odeur aux abords du chemin du Tonnerre vers les Hautes Pierres. Sûrement un guérisseur en pèlerinage. Mais cela ne me rassura pas, je n'avais pas croisé d'odeur du Clan du Vent, ce qui signifie qu'aucune patrouille ne l'avait intercepté. Je voulais que les choses soient claires.

Bon an mal an, je traversais le chemin du Tonnerre, grimaçant contre la surface dure, et je vis le félin sur l'herbe blanchie par la neige. C'était bien Dernier Souffle, le guérisseur du Clan du Tonnerre.

Le souffle court après avoir traversé à toute vitesse, je ne lui laissais pas le temps d'ouvrir la gueule.

« Tu es bien loin de ton territoire Dernier Souffle. Explique moi ta présence ici, sur mon territoire ou tu ne risquerais pas de repartir de si tôt. »

D'un œil méfiant, exorbité, le pelage hirsute, je regardais le museau du guérisseur s'approcher de moi. Il allait attaquer ! Un guérisseur attaquant un chef de Clan, où allons nous ? Dans ce cas, j'avais parfaitement le droit de l'attaquer en retour, pour me défendre. Mon Clan avait besoin de moi.

Néanmoins, pas d'attaque. Il miaula juste quelques mots.

« Je suis là en paix, Etoile Sombre. Je viens communier avec mes ancêtres. »

Je ne me détendis pas pour autant. Tout cela ne voulait pas dire qu'il venait en paix. Communier avec ses ancêtres présageait forcément un malheur. Il fallait que je sache. Le Clan du Vent pouvait être impacté.

Je remarquais que le chat regardait nerveusement vers le haut, au pic de la falaise. La grotte de la Pierre de Lune. Ça lui démangeait les pattes d'y aller !

Je me plaçais devant lui, d'un pas nonchalant. Je ne sentais pas le vent froid qui soufflait. Mon corps bouillait de savoir ses motifs. D'une voix mielleuse, je lui miaulais :

« Tiens donc. Le Clan du Tonnerre a des ennuis ? Pourtant, la saison des neiges se termine, il ne devrait plus y avoir de soucis. A moins que le Clan du Tonnerre aient des ennuis... »

Je commençais à réfléchir au fur et à mesure de mes paroles. Quelles difficultés si importantes pouvait rencontrer le Clan du Tonnerre ? Est ce que ces difficultés pourraient toucher notre Clan ? Est-ce que cela les poussera à nous attaquer ? Dans ce cas il faut prévoir les patrouilles supplémentaires ! En cette saison difficile, il fallait que tout les guerriers se concentrent sur la chasse, mais les frontières étaient tout aussi importantes.

Je marchais de long en large devant le matou, sans le laisser passer, tenant un bon rythme.

« Que manigance votre chef ? Tu ne vas pas communier avec tes ancêtres pour rien du tout, le chemin est long et les risques nombreux... »

Je m'approchais du museau du mâle au pelage gris, en m'arrêtant brusquement devant lui.

«Alors ? Que vas tu choisir Dernier Souffle ? »