J'étais assise paisiblement dans la plaine creuse, Cœur d'Encre auprès de moi. Cette magnifique journée ne pouvait pas être plus belle. Je souriais pleinement, montrant parfois les crocs avec joie lorsque le beau matou plaisantait. Je n'aurais pas pu rêver mieux. Mais ma joie fut de courte de durée, très courte même, car ma grande sœur vint me trouver. Son pelage gris argenté luisant sous les rayons du soleil, ses yeux verts étincelants de mille feux. La femelle s'approcha de nous, son regard passa sur le guerrier moucheté, puis s'arrêta sur moi avec tendresse. Sa queue ballotta deux trois fois dans l'air avant de frapper le sol alors qu'elle s'assoyait devant moi, ses yeux émeraudes toujours fixés sur moi. Orage d'Or resta un long moment silencieuse, puis elle ouvrit finalement la gueule.

- Tu voudrais bien m'accompagner Nuage du Vent?

- Où vas-tu? demandai-je surprise.

- Je participes à la patrouille frontalière avec Nuit d'Azur et Cœur de Cygne, tu nous accompagnes?

Sur ces mots, je tournais le regard vers Cœur d'Encre d'un air déçue. J'aurais tellement voulu rester plus longtemps auprès du beau matou, mais je n'aurais surement pas d'autre chance de passer du temps avec ma sœur qui était bien occupé avec Petit Romarin. Le guerrier comprit sans que je n'ai à ouvrir la bouche. Il acquiesça, comme s'il me conseillait de la suivre. Ce que je fit, mais pas sans venir embrasser le mâle d'un vigoureux coup de langue sur la joue. Je lui murmurai même à l'oreille:

- Je reviens très bientôt Cœur d'Encre. Tu vas me manquer.

En rejoignant le petit groupe, je sentis le regard haineux de Cœur de Cygne se poser sur moi. Son regard doré brillait comme neige au soleil, d'un éclat qui me fit détourner le regard vers ma grande sœur.

- Où allons-nous? demandai-je en ne faisant pas attention aux deux félins qui nous accompagnait.

- Dans la lande pas très loin d'ici. me répondis Nuit d'Azur en posant son regard azur sur moi.

- T'inquiète tu n'auras pas le temps de t'ennuyer de Cœur d'Encre. plaisanta Orage d'or alors que Cœur de Cygne grommelait sous ses moustaches.

Nous partîmes ensuite en route vers notre destination; Orage d'Or et Nuit d'Azur en tête suivi de moi et Cœur de Cygne qui semblait vouloir m'éviter à tout prix. Je savais depuis longtemps que ce dernier me portait une attention toute particulière, mais mon cœur appartenait déjà à Cœur d'Encre, ce qui avait surement fait monter toute cette rage en lui.

Nous quittâmes le camp comme une joyeuse petite troupe, à l'exception de Cœur de Cygne qui affichait encore une mine dépressive et qui semblait nous emboîter le pas à contre cœur, comme à son habitude. Son expression morose sur son visage blanc au front noir et ses yeux bleus brumeux me filait parfois les chocottes. À croire que son air déprimé m'est destiné. Orage d'Or menait la patrouille. Il y avait bien longtemps qu'elle n'était plus sortit du camp à cause de ses petits. Elle devait avoir longtemps souffert de la perte de deux de ses trois chatons, mais aujourd'hui sa tristesse s'était pratiquement toute envolée. Nous marchâmes un bon moment, quand en traversant un terrain escarpé de caillou, Nuit d'Azur trébucha pour s'étaler de tout son long sur le sol aux milles pointes rocheuses. Un long rire moqueur s'échappa de notre compagnie, dont moi et la femelle grise, mais jamais de Cœur de Cygne qui restait à l'écart loin derrière nous tous. Nuit d'Azur se releva en grognant doucement, surement sous la douleur des cailloux plantés dans ses côtes. Par chance, il n'avait aucune plaie.

- Ça va? demanda finalement Orage d'Or en ayant repris un peu son souffle entre deux rires.

- Oui tout va bien, rien de casser. répondit le matou en se passant un coup de langue sur le poitrail.

Nous reprîmes notre route sans plus tardé. À peine avait-on quitté le terrain escarpé, Orage d'Or s'arrêta à nouveau, les oreilles dressés comme si elle avait entendu quelque chose. Je levai la tête, humant les effluves portés par le brise, mais je ne sentis rien d’inhabituel; seulement l'odeur du vent, de la végétation et des proies fourmillants sous terre. La femelle grise fit un pas, puis s'arrêta de nouveau, cette fois elle tourna la tête vers nous en nous fusillant presque du regard.

- Vous avez entendu? demanda t-elle en baissant d'un ton, ses oreilles s'agitaient toujours dans tout les sens.

Je jetai un coup d’œil partout aux alentours, cherchant la moindre trace soit d'un envahisseur ou d'une proie, mais je ne vis rien. En reportant mon attention sur la femelle grise, un mouvement derrière elle me fit froid dans le dos. Un énorme molosse avait profité de la confusion pour s'approcher de nous. Son pelage gris comme la pierre s'était parfaitement fondu contre celle-ci, mais comment avait-il réussi à couvrir son odeur? C'est alors qu'une brise souffla de mon dos jusqu'à mes moustaches. Le vent jouait contre nous!

- Orage d'Or attention! Derrière-toi!

La femelle se retourna que trop tard. Le chien avait déjà chargé et au moment où ma grande sœur plia les genoux, le cabot la saisit dans sa gueule, la secouant comme un pauvre prunier. Je ne pus rien faire. Tétanisée par la peur, je restais figée, des larmes perlant sur mes joues. Un éclair blanc crème passa en vitesse à côté de moi. Nuit d'Azur avait bondit à sa rescousse, frappant le roquet au cou en grimpant sur son dos. Le molosse réussi à se défaire du matou, lâchant en plus Orage d'Or qui retomba inerte sur le sol avant d'accourir en jappant vers nous. Cœur de Cygne se jeta devant moi, donnant son propre corps comme rempart afin de me protéger. Le matou bicolore bondit à son tour sur le cabot, lui griffant le museau, la gueule et les yeux, mais ce dernier réagit bien trop vite pour le guerrier. Il l’attrapa par la tête, lui lacérant le crâne avant de le projeter un peu plus loin contre le rocher près duquel il s'était caché avant de s'enfuir en glapissant de douleur.

Je n'ai rien pu faire... Ce n'est qu'une fois le molosse loin, que je repris enfin mes esprits. Perturbée, mais surtout inquiète pour ma sœur, je m'approchai du corps immobile de la chatte grise, pressant ma truffe contre sa fourrure duveteuse. Ses flancs ne se soulevaient plus. J'aurais dû agir, la défendre, la protéger... J’enfouis mon museau encore plus dans son pelage ruisselant de sang. C'était fini... Tout était fini pour elle. Orage d'Or était morte par ma faute. Ma propre sœur avait péri à cause de mon impuissance à faire face à ce sale cabot! Je serrai les dents, frôlant ses flancs du bout de la queue. Des larmes se mirent à couler à flot sur mes joues, se mêlant au sang pourpre de la guerrière défunte. Je n'arrivais pas à croire qu'elle était partie, qu'elle m'abandonnait, moi et Petit Romarin. Qu'allait dire son fils en apprenant la nouvelle, comment réagirait-il? Me tiendrait-il comme unique responsable? Me cœur éclata en mille morceaux dans ma poitrine. Venais-je seulement de me rendre compte que plus jamais je ne la reverrais? Je relevai la tête, les larmes mouillants mes paupières alourdies par le chagrin et remarquai Nuit d'Azur posté auprès de Cœur de Cygne étendu sur l'herbe tâché de sang. Non! Pas lui aussi! Je ne pus rester plus longtemps auprès d'Orage d'Or. Le plus important était désormais de sauvé le matou bicolore. Je pleurerai ma sœur plus tard. M'avançant vers les deux mâles, Nuit d'Azur leva les yeux dans ma direction, me confirmant ainsi que le guerrier à ses pattes était toujours en vie, mais très mal en point. En arrivant près de Cœur de Cygne, celui-ci ouvrit faiblement les yeux, affichant un faible sourire apaisé, puis il parla d'une voix tremblante comme s'il en avait plus pour très longtemps.

- Nuage des Vents. Je suis heureux d'avoir pu au moins faire une chose pour toi avant de partir... Aujourd'hui, je t'es sauvé la vie en donnant la mienne... Ne gâche pas ce cadeau si précieux que je te fais... Et sache... que je t'ai toujours...

Les yeux bleues de glace du mâle se ternir. Toute lumière disparue de son regard. Sa voix s’éteignit aussi, ses flancs cessèrent de s'élever et de s'abaisser. Cœur de Cygne était mort lui-aussi. Je baissai la tête, honteuse et prise d'une culpabilité monstrueuse. Les oreilles plaqués contre mon crâne, je touchai l'épaule du guerrier du bout du museau en soufflant contre sa fourrure.

- Je sais... C'est de ma faute... Pardonne-moi... Pardonnez-moi!

Je fondis en larme.

Je fermai les paupières, me délectant une toute dernière fois de la douce effluve du guerrier. Ô comme je m'en veux. Alors que je savais très bien ce que ressentait Cœur de Cygne pour moi, j'avais préféré le rejeter pour Cœur d'Encre. Si je l'avais aimé, comme j'aime désormais le guerrier moucheté, il n'aurait surement pas bondit sans réfléchir pour me sauver la vie. Qu'est-ce que je raconte!? Bien sûr qu'il m'aurait sauvé la vie. Il serait tout de même mort. Je n'y peux rien... Rien du tout. Le Clan des Étoiles l'appel à eux et moi, je ne suis qu'une jeune chatte impuissante face à nos ancêtres...

- Ce n'est pas de ta faute si ta sœur et Cœur de Cygne sont mort. interrompit Nuit d'Azur qui déposait le corps inerte d'Orage d'Or au sol. C'était leur destin, tu n'y es pour rien.

Je sentis son regard azur se poser sur moi une fraction de seconde, puis en rouvrant les yeux, il poursuivit sur un ton conciliant:

- Maintenant il faut rentrer pour l'annoncer au clan et les veiller.

Même si les paroles du guerrier masqué m'obstruait la gorge tel une boule de poil, je savais qu'il avait raison. Nous ne pouvions pas nous attarder plus longtemps ici, au risque que ce cabot sanguinaire ne revienne pour finir le travail. Je me relevai avec peine, les pattes tremblantes de chagrin, les larmes perlant encore sur mes joues, je susurra entre ma mâchoire serrée:

- Tu as raison Nuit d'Azur. Au revoir Orage d'Or... Au revoir Cœur de Cygne... Que le Clan des Étoiles vous accueille parmi leur rang à votre juste valeur. Le Clan honorera votre courage à tout les deux...

Suite à ces mots, j'essuyai mes larmes du revers de mes pattes, puis attrapai le guerrier défunt par la peau du coup avant de le trainer comme je pus jusqu'au camp. Bien qu'ayant presque ma taille adulte, celui-ci était plutôt lourd, plus que ce que j'aurais pu m'imaginer.