J’avais passé toute la nuit dehors. Après la patrouille de chasse je m’étais éclipsé, déposant mes proies à l’entrée du camp. Personne ne m’avait vue. Personne ne faisait attention au chat étrange, au chat vide. Je m’étais dirigé vers les Terres Libres, voulant être tranquille. Je savais que certains membres sortait la nuit, les membres du Clan de l’Ombre étaient curieux. Je n’avais pas envie de me faire remarquer et de me faire harceler.
J’avais trouvé une petite clairière avec un arbre étrange. Il n’y avait pas d’arbres, les étoiles brillaient faiblement dans le ciel. Je m’assis au centre de la clairière, ma queue tordue enroulant mes pattes arrière, levant la tête vers le ciel. La nuit était belle aujourd’hui.
Et puis une goutte était venue s’écraser sur mon nez. Puis deux. Petit à petit la pluie s’intensifia, trempant la nature, et moi par la même occasion. Mon pelage n’étant pas imperméable, le froid de la pluie me glaçait les côtes. Une sensation agréable. Mais aussi une torture. Elle me rappelait que j’étais vivant.

Au petit matin, les oiseaux gazouillaient. Je n’avais pas dormi de la nuit, trop captivé par les étoiles et par mes pensées qui tourbillonnaient dans ma tête. Le soleil c’était doucement levé. Je baissai la tête et m’ébrouai. J’étais complètement trempé. Par chance les rayons du soleil étaient puissants ce matin, accélérant ainsi le séchage de ma fourrure. Je ne m’inquiétais pas vraiment de mon allure, et j’aimais avoir le pelage humide. Mais de là à être complètement trempé…
Je pris la décision de courir, de trouver une proie pour calmer mon ventre un peu trop bruyant. Je n’étais pas fatigué, mais mes muscles étaient engourdis. J’avais passé toute la nuit assis, la tête levé, sans bouger.
Dans un arbre un corbeau croassait. Le chant de la mort. Un si bel oiseau. Dommage qu’il n’y ai aucune autre proie dans les environs. Il allait devoir mourir. D’un bond agile je sautai sur la première branche de l’arbre voisin. Sautant de branche en branche, le plumage de jais dansait devant moi. En équilibre sur une fine branche je bondis dans l’arbre voisin et faucha l’oiseau d’un coup de patte. Un cri de surprise retentit, tournant la tête je vis une boule de poils tomber, m’entraînant avec elle. Elle s’écrasa au sol, à l’inverse de moi qui retombai sur mes pattes. Elle l’avait vue. L’œil. Je le refermai en soupirant, je ne pouvais pas être tranquille, même ici…

« Hé toi là !! Pourquoi tu m’as volé ma proie ? J’allais l’avoir en plus ! »

Clan de la Rivière. Une apprentie. Ses poils sur son échine étaient dressés, ses griffes plantés dans le sol. Elle essayait de se montrer forte, mais je voyais bien danser la peur dans ses yeux, sous cette fausse flamme de détermination. Je me rapprochai d’elle, sans aucun sourire. Aucune expression.

« Tu as peur ? »

Question stupide.

Le bout de sa queue battait l’air, elle avait beau être assis et se lécher les coussinets je voyais bien qu’elle était tendue. Cachant son mal-être, elle observait le paysage, les arbres verts dont leurs feuilles dansaient lentement au vent, les buissons verts foncés avec leurs fruits. Puis elle tourna les yeux et plongea son regard dans le mien.

« Et toi, tu as peur ? »

Elle venait se lever, me tournant autour en me crachant dessus. Je soupirai. Elle ressemblait à un chaton. Croyait-elle sérieusement qu’elle pouvait me juger au premier coup d’œil ? Trouver mes faiblesses ? Sa position d’attaque était celle d’un chaton qui essayait de ressembler au grand guerrier. Pitoyable. Je pouvais l’envoyer voler d’un coup de patte.

« J’ai appris à ne plus avoir peur. Peur de rien. »

Je l’observais du coin de l’œil, je la regardais me tourner autour, sa façon de se déplacer. Elle était silencieuse. Elle n’avait pas appris cela au sein du Clan de la Rivière, c’était impossible.

« Crois-tu réellement que mon œil est un handicap ? Crois-tu pouvoir me vaincre simplement parce que je préfère le garder fermer ? »

Lentement je l’ouvris, je la vis frissonner. Il est vrai que cela aurait pu être un handicap, mais cela faisait bien longtemps que j’avais appris à vivre avec. Et lorsque que la mort arrivera, j’ouvrirais les deux yeux. Pour la voir enfin.

Elle se stoppa à mes paroles. Elle était surprise. Lentement elle vint se rassoir devant moi, essayant de se calmer pour paraître plus grande qu’elle ne l’était. Elle essayait de me regarder dans les yeux. Mais elle avait peur. Peur de moi mais pas seulement. Depuis qu’elle m’avait vue, non depuis qu’elle m’avait sentie, elle était nerveuse. Elle avait peur du Clan de l’Ombre. Quels préjugés avait-elle sur nous ? Curieux je penchai légèrement la tête sur le côté. Elle était jeune. Et elle ne devait pas être née au sein du Clan de la Rivière.

« C’est impossible de contrôler la peur, c’est un sentiment. »

Surpris je relevai la tête. Contrôler la peur ? Non je ne la contrôlais pas. Ce sentiment n’existait plus pour moi. Tout ce dont un chat sauvage devrait avoir peur c’est de la mort. La peur de perdre ses proches, sa famille, ses amis, son clan. Peur pour sa survie. Mais j’étais seul. Je n’avais plus de famille. Je n’avais pas d’amis. Le Clan importait peu pour moi. Je restais au sein du Clan de l’Ombre pour honorer la mémoire de mon père. Pour devenir comme lui. Je n’avais pas peur de mourir. Je n’avais plus de raison de vivre. Je ne voulais pas survivre, je voulais mourir.

« Je ne la contrôle pas. Elle a disparu. »

J’étais presque incapable de ressentir le moindre sentiment. Il me fallait des sentiments vraiment forts. Puissants.
J’étais curieux. Et je voulais savoir d’où venait cette petite. Mais je n’allais pas lui demander. Elle avait bien trop peur de moi et de mon appartenance au Clan de l’Ombre pour vouloir partager ses souvenirs d’enfance avec moi. Elle était inexpérimentée. Je ne savais même pas si elle avait un mentor. Alors je remuai les moustaches, content de mon idée.

« Que dirais-tu de t’entraîner un petit peu ? Je sais que tu meurs d’envie d’en découdre avec un membre du Clan de l’Ombre. Et j’avoue que l’idée de combattre, sans les griffes, contre une apprentie farouche du Clan de la Rivière me plaît bien. »

Je me mis en position de combat, un petit sourire impatient pendu aux lèvres.