Masque du Trèfle se réveilla, transis jusqu'aux os. Ce n'était pas tant le froid qui l'opprimait en cette nuit glaciale, mais le cauchemar qu'il venait de faire et qui semblait l'importuner nuit après nuit après nuit depuis quelques jours. Le matou masqué se leva de sa couche, l'esprit tourmenté par les dernières images de son songe ; une ombre menaçante planait au-dessus de sa tête alors qu'il collectait des herbes médicinales, surement pour sa sœur. Ce spectre sombre ne ressemblait à rien de ce qu'il avait pu connaître jusque-là. Il ne lui rappelait aucune créature des bois avec ses longues griffes aux bouts ronds qui tentait de l'attraper par tous les moyens. La première nuit qu'il avait fait ce rêve, le guerrier n'y croyait pas ; pas plus que ces autres rêves. Le don des visions était celui de sa sœur, pas le sien, alors pourquoi toujours ce même rêve ? Masque du Trèfle en avait marre. Il aurait voulu en parler, mais à qui ? Mélopée Sahélienne n'était plus. Petite Utopie et Petit Espoir, trop jeunes pour comprendre. Nuage d'Étincelles, trop bavarde pour lui confier quoi que ce soit. Cantique Astral, mauvaise idée. Si jamais la guérisseuse apprenait que son frère possédait le même don qu'elle, il ne sait comment la femelle réagirait. Peut-être serait-elle contente de partager ce fardeau ou au contraire, le mépriserait-elle pour lui avoir menti toutes ces années. Le matou tenta de ne plus y penser. Il ferma les yeux pour balayer toutes craintes de son regard bleu givre, puis il sortit de la tanière à pas feutré pour prendre l'air et faire le tri dans ses pensés.

Le guerrier s'assied dehors, la fourrure gonflé afin de ne pas avoir trop froid et les yeux rivés sur la lune. Il se souvenait qu'il avait pris l'habitude de la contempler aux travers des chutes d'eau protégeant leur camp lorsqu'il vivait encore dans la tribu où il avait vu le jour. Ses doux contours blafards le réconfortait dans ses moments de doutes les plus profonds et cela depuis sa plus tendre enfance. Soudain, une étoile de la Toison Argentée scintilla plus que les autres, puis comme si on l'avait saisi sous la plume d'un pinceau, celle-ci glissa sur le côté, fuyant le berceau lumineux de sa mère lune. Masque du Trèfle la suivit des yeux, des larmes perlant sur ses joues cendrés. Comment avait-il pu faire cela ? Quitter sa tribu, sa maison, sa famille... NON se dit-il en ordonnant à sa tristesse de disparaître. Sa véritable place est ici, auprès de ses petits, de sa sœur et ses amis, plus là-bas à subir les moqueries de ses anciens compagnons pour son sang-mêlé. Ici, il était respecté, acclamé en héro depuis la guerre et craint de ses ennemis. Il n'était plus Trèfle de Givre, mais bien Masque du Trèfle ! Il en était sûr à présent. Son ancienne vie était morte noyé dans la rivière qui l'avait traîné jusqu'ici lors de son voyage. Il ne devait plus y penser. Plus jamais. Plantant ses griffes dans la terre et serrant la mâchoire de toutes ses forces jusqu'à ce que celle-ci soit douloureuse, le guerrier se fit la promesse de ne plus vivre dans le passé. Le seul passé qu'il garderait en souvenirs seront les liens de sa véritable famille ; sa sœur, sa compagne et ses petits. Rien d'autres.

Soulagé et convaincu qu'il pouvait désormais retourner dormir sans être dérangé, Masque du Trèfle se leva, prêt à regagner son nid quand il l'aperçut dressé sur le promontoire ; sa silhouette bicolore immobile alors que sa fourrure dansait au gré du vent. Étoile Merveilleuse.

" Que fait-elle dehors à cette heure ? " se demanda le matou.

Inclinant la tête sur le côté, une patte levée au ras du sol, Masque du Trèfle l'observa un instant avant de se décider à aller la rejoindre. La neige craquant sous ses grosses pattes cendrés alerta la meneuse qui tourna doucement son regard bleuté dans sa direction.

« - Bonsoir. » miaula timidement le guerrier. « - Que fais-tu dehors à une heure aussi tardive ? Surtout à la mauvaise saison. »

« - Bonsoir Masque du Trèfle. Et bien, quand le moral n'est pas là, j'aime regarder les étoiles. Même si il fait froid. J'ai toujours l'impression d'être un peu plus proche de ceux que j'ai perdu, pourtant je sais qu'on ne peut atteindre les étoiles. » commençait la meneuse l'air songeuse. « - En les regardant, j'espère avoir un signe, une apparition, mais cela n'arrive jamais. Après tout, je ne suis pas guérisseuse, mais je continue à espérer. Je suis persuadée qu'il n'y a pas qu'eux qui ont des visions. Ils sont les plus concernés car la tradition le veut, mais tous le monde a la possibilité d'avoir des signes, seulement dédiés à sa propre personne, sans que le clan entier soit au courant. Sinon ce serait injuste et inégal. » poursuivit-elle.

Étrangement, Masque du Trèfle se sentait mal à l'aise, plus que d'habitude, en présence de la meneuse. Cela était sans doute dû à ses paroles censés ou insensés. Comment pouvait-elle savoir pour ses rêves ? Peut-être ne savait-elle pas justement et que son discours était dû au hasard, non pas à l'intuition. Le guerrier bicolore frémit à l'idée que le Clan des Étoiles ait révélés leur présence dans ses songes à son chef, mais cette idée lui parut soudain plus stupide que la première. Étoile Merveilleuse avait bien dit que ses ancêtres ne s'adressait jamais à elle, alors pourquoi la craindre ? Il en avait pas l'intention non plus.

Parfois les choses sont mystérieuses, et c'est mieux ainsi.

Masque du Trèfle croisait le regard bleuté de la chatte du sien. Il ne savait que dire et se contentait de rester silencieux à contempler le reflet de la Toison Argentée dans les prunelles sombres de la meneuse. Il y avait encore tant de chose que le guerrier ignorait, alors il préférait se taire et laisser la brise hivernale balayer sa fourrure comme le blé d'un champ d'été.

« - Et toi, pourquoi tu n'es pas couché ? » demandait brusquement Étoile Merveilleuse.

« - Je pense sans doute un peu trop ces temps-ci. Je passe mes nuits... à me tourner et me... retourner... dans mon nid... comme si j'avais... oublié un détail important... de ma vie. avouait le matou énigmatique.