Joli Ouragan courait à en perdre haleine. Elle courait tellement vite que le paysage autour d'elle ne semblait plus être que le flot puissant d'une rivière de rapides. Tous ses membres la brûlaient comme si sa fourrure elle-même avait pris feu durant sa course folle. Heureusement, aucun obstacle ne se dressait sur son passage. Qui sait ce qu'elle serait devenu si un arbre s'était trouvé sur sa trajectoire, droit devant elle, et sans qu'elle puisse ralentir le pas ? De la chair à corbeau certes. Elle se serait sans aucun doute fracassé le crâne ou pire encore - cassé la gueule, mais heureusement elle avait le champ libre. Cependant, malgré l'absence de spectateur pour épier la scène avec un cœur de pierre, Joli Ouragan n'arrêtait pas de courir pour autant. Pourquoi donc ? Car elle fuyait. Quoi donc ? Le Clan du Vent pardi ! Mais pourquoi elle fuit son clan ? C'est une longue, même très, très longue histoire que je suis prête à vous raconter si vous voulez bien vous taire et me laisser poursuivre ! Bon, reprenons où nous en étions.

La rouquine courait toujours. La fourrure de ses joues souillée de larmes. Voilà pourquoi elle fuyait - pour ne pas avoir à montrer ses faiblesses à son clan. Il faut dire qu'elle est plutôt orgueilleuse notre jeune guerrière. Jamais Joli Ouragan n'avait versé une larme devant quiconque, pas même en présence de sa sœur - Songe des Océans, ni même de son frère - Dévastation du Magma, lors de son exil. Elle n'avait même pas montré l'ombre d'une larme à la mort tragique de son père - Patte de Silex. C'est vrai qu'elle le détestait à mourir, mais quand on va jusqu'à ne rien ressentir à la perte de nos propres parents, les autres ne nous regarde plus du même œil. Joli Ouragan a un cœur de pierre ? Non, mais c'est exactement ce que pense les membres de son clan malheureusement. Oh mais c'est triste, trop triste même. Oui. Bref, vous me faites encore divaguer de mon histoire alors que notre protagoniste arrive bientôt au point culminent de sa fugue, là où tout se déroulera. Ok.

Hum-um. Joli Ouragan dépassait la frontière du territoire de son clan, pénétrant ainsi sur les terres libres, mais sans s'en apercevoir, probablement, la guerrière empiétait aussitôt sur le territoire d'un autre clan - celui de la Rivière. La rouquine trouvait refuge sous le pont des bipèdes, les pattes presque entièrement immergées dans le flot paisible de la rivière. Étrangement, le fait de se mouiller les coussinets ne l'embêtait pas plus que les larmes qui continuaient de couler sur ses joues tigrées. C'est là, et seulement là, sous le pont et loin de son clan que la guerrière se laissait aller. Elle pleurait sans retenir le moindre de ses sanglots. Mais pourquoi elle pleure ? Pourquoi ? Et bien, c'est si simple. Joli Ouragan ne se sentait pas accepter au sein de son clan et ce sentiment de rejet est devenu encore plus présent après ce qui s'était passé l'autre jour avec Nuage Astral. Et que c'est-il passé ? Vous ne le savez pas ?! Eh bien, disons que Joli Ouragan a simplement perdu le contrôle de ses émotions et qu'elle a fait du mal à l'apprentie, c'est tout. Elle lui a fait du mal ? Bon, cela suffit ! C'est au tour à quelqu'un d'autre de vous raconter sa version des faits car comme vous l'ignorez encore, Joli Ouragan n'était pas seule près de ce pont, alors taisez-vous et écoutez attentivement.

Joli Ouragan tressaillit. Ses sanglots se turent subitement, comme étouffé par le chagrin, mais ses larmes continuaient de couler sur son joli petit minois. Elle avait entendu des bruits de pas s'approcher, et maintenant ils se tenaient tout près, là, juste au-dessus de sa tête - sur le pont des bipèdes. La guerrière espérait de tout son cœur avoir rêvé, mais les pas reprirent. Oh misère ... pensait-elle en se repliant sur elle-même d'une façon trahissant son insécurité. Et si il s'agissait d'un félin ennemi ou encore pire, un bipède, que pouvait-elle bien faire ? Joli Ouragan aurait aimé en finir ici et maintenant, quitte à mourir sous les coups de griffes d'un guerrier du Clan de la Rivière ou se faire emmener par un bipède et vivre à jamais avec lui en tant que chatte domestique, mais son subconscient le lui interdisait vivement. Elle ne serait ni heureuse ni fière de sa décision. Pourtant, elle ne pouvait pas non plus retourner auprès des siens au Clan du Vent. C'était impossible !

Soudain, une ombre rousse tomba du ciel, ou du moins du pont au-dessus de la rouquine. Ses larges pattes frappèrent le sol dans un bruit étouffé qui fit hautement sursauter Joli Ouragan. La guerrière faillit prendre peur, et de panique, s'enfuir à toutes pattes, mais quelque chose de spécial chez ce matou l'en empêchait. Son regard ambré.

Joli Ouragan restait ainsi figé - de peur ou de surprise, personne ne le sait - à regarder le grand mâle roux droit dans les yeux. Elle ne pouvait pas en croire ses yeux. C'était bien lui ! Son frère ! Dévastation du Magma !! Incapable de contenir ses émotions une fois de plus, la rouquine perdit son calme et son masque de fer. Les larmes reprirent leur descente au enfer, venant s'écraser contre le sol, alors que la guerrière accourait en direction de son frère qu'elle croyait perdu depuis de nombreuses et interminables lunes cauchemardesques. Il était de retour et sa simple présence rendait Joli Ouragan aussi vulnérable et incrédule qu'un petit chaton. La rouquine se pressait tout contre le rouquin, sa truffe couleur brique enfouit profondément dans la longue pelisse couleur flamme du matou qu'elle souillait de ses larmes argentées.

« - Ô le Clan des Étoiles soit louer ! Je dois être morte noyé car je n'arrive pas à croire que tu sois vraiment là, devant moi, mon frère. Tu m'as terriblement manqué... » miaula Joli Ouragan en faisant un pas en-arrière.

« - Qu'est-ce qui se passe ? » lui demanda aussitôt le rouquin.

« - Oh... » soupira Joli Ouragan en détournant le regard. « - Depuis ton départ, tout va de mal en pire... Comment je suis censé vivre, moi, toute seule, alors que l'on m'ignore complètement, hein ?! C'est pas toi qu'ils auraient dû chasser, mais moi ! Tu ne méritais pas cela Dévastation du Magma, mais moi, oui. Et je le mérite encore... Tu n'as pas tué Patte de Silex ! Moi non plus, mais j'aurais bien aimé. C'était un accident ! Tu as même essayé de le sauver alors que tu savais à quel point sa mort me ferait plaisir. Et moi... oui, moi dans tout cela... J'ai détruit la deuxième chance que tu m'ais permis d'avoir. J'ai failli commettre l'impardonnable ! J'avais personne à qui me confier ! Alors je t'en supplie ... dis-moi que je ne suis pas devenu folle... » implora Joli Ouragan en tremblant comme une feuille, son être visiblement en morceau et son âme en lambeau. Elle souffrait amèrement.

Joli Ouragan commençait sérieusement à angoisser. Elle savait bien que son frère écoutait la moindre de ses paroles, son regard en témoignait, mais son silence l'inquiétait - que pensait-il de sa sœur ? Du bien, du mal - probablement. Cela faisait extrêmement longtemps qu'ils ne s'étaient pas vu et ils ont grandement changé depuis, alors comment savoir précisément ce que l'un pense de l'autre et vice-versa. La rouquine se mit alors à croire au pire des scénarios - son frère devait certainement la trouver folle, très dérangé même, et il n'osait surement pas lui avouer de peur de la blesser profondément. Cependant, contre toutes attentes de la guerrière, le solitaire s'avançait vers elle en affichant un air tendre, puis il ouvrait doucement la gueule pour la consoler et lui assurer le contraire de ce qu'elle pensait un peu plus tôt - à peine quelques secondes auparavant.

« - Non Joli Ouragan. Je crois que tu as seulement besoin de repos. Vous me manquez beaucoup. » miaulait le rouquin en enroulant sa queue autour des épaules de sa sœur avec compassion. « - Tu dois retourner au Clan du Vent. Étoile Sombre va finir par te chercher. Je dois partir aussi parce que si je me fais prendre par un guerrier, je n'ai pas de place ou me cacher. Viens avec moi, je vais te reconduire à la frontière. » poursuivait le matou en exerçant une légère pression sur la nuque de sa sœur comme pour la forcer à avancer, mais la femelle plantait solidement ses griffes dans le sol, bien décidée à rester là.

« - Non ! Tu ne comprends pas ! » feulait Joli Ouragan en s'extirpant de l'étreinte de son frère. « - Je ne peux pas y retourner. Tu m'entends. C'est impossible pour moi. Je suis bien plus en danger là-bas qu'ici, et de plus, le clan se fiche totalement de moi, alors mon absence passera complètement inaperçu. À part peut-être pour notre sœur, Songe des Océans, et même encore. Elle doit être bien trop occupée avec son rôle de lieutenante ou ses chatons. » crachait la rouquine - une écume blanchâtre sur les flancs de sa gueule et ses iris irisés par une profonde colère.