Après l’annonce de montée au pouvoir d’Écho Intemporel – ou plutôt Étoile Intemporelle désormais – Mélopée Angélique avait laissé ses pattes la guider vers la rivière située à l’est de son territoire où elle avait simplement commencé par y tremper le bout des pattes, allongée le long de la berge, le regard plongé dans le vide. Elle avait passé beaucoup de temps là-bas. Elle avait prit le temps de bien réfléchir à propos du nouveau meneur. Si son père l’avait choisi, il devait bien y avoir une raison.

La guerrière avait remarqué qu’il n’y avait rien d’affectif dans ce choix. Et dans ce cas, il n’y avait plus qu’une seule option. Si Écho Intemporel avait été choisi, c’était pour ses qualités qui feraient de lui un bon leader. Il était donc légitime qu’il accède au pouvoir. Et en raison de sa montée très rapide, les Étoiles – selon lui – semblaient lui avoir accordé un délai pour définir celui qui le secondera. Peut-être devait-elle faire ses preuves ou peut-être n’avait-elle aucune envie de suivre la voie de son père. Si elle le faisait, ce ne serait jamais pour satisfaction personnelle mais bien honorer son père.

Et tandis que la guerrière rousse se perdait dans ses songes, un craquement venant de l’autre côté de la rive, près des Rochers du Soleil, se fit entendre. Relevant la tête, Mélopée Angélique plissa des yeux pour essayer de savoir qui se trouvait là. En humant rapidement l’air, elle se rendit compte qu’un félin du Clan du Tonnerre traînait dans les parages. Se sentant comme observée, la femelle bondit sur ses pattes et cracha, hérissant chacun des poils parcourant son corps, les crocs et les griffes découverts.

« – Qui va là ? demanda-t-elle après un grognement. »

Mélopée Angélique était sur ses gardes, chaque sens à l’affut : le moindre bruit, la moindre effluve, le moindre mouvement. En alerte, elle avait bandé ses muscles, parée à l’attaque, même en sachant que la rivière les séparait. Elle savait pourtant à quoi s’attendre, une silhouette se découpait de la pénombre des arbres. Un pelage noir se détachait doucement, accompagné de deux prunelles ambrées magnifiquement bien centrée sur son visage ; puis, peu à peu, celui fut éclairé par les rayons du soleil et à son plus grand étonnement, elle reconnut Secret du Passé. Néanmoins, elle ne s'esclaffa pas de suite, craignant qu’une patrouille entière ne pointe le bout de son museau au moment où elle s’y attendait le moins.
Mais rien ne vint. Alors elle fit un pas, puis deux vers la berge, afin de s’assurer qu’il s’agissait bien d’elle ; une fois quittée de tous ses soupçons, elle se détendit et prit même le temps de s’asseoir face à elle, alors que ce lit d’eau gazouillant les séparait.

« - Secret du Passé, quelle bonne surprise, dit-elle, ironiquement. »

Cela ne lui faisait pas spécialement plaisir de la voir. Pas après ce qu’il s’était passé à cause d’Étoile Temporelle. Elle n’avait actuellement aucune envie de voir une guerrière, surtout pas un adversaire. Malgré ses airs amicaux durant les Assemblées, il était hors de question de sympathiser en dehors de celles-ci. Elle le faisait grâce à la trêve, mais ici, il n’en était rien. La femelle ébène et elle étaient de nouveau des ennemis.

« - Que fais-tu donc par ici ? Ne sais-tu pas que les Rochers du Soleil sont convoités par les guerriers du Clan de la Rivière ? »

Mélopée Angélique jouait la carte de la provocation. Elle doutait fort que Secret du Passé tombe dans le panneau, mais sait-on jamais, on ne connaît jamais la réaction des autres dans certaines situations. On ne connaît jamais vraiment les autres, de toute façon. Imprévisibles. Ils sont tous imprévisibles.

Mélopée Angélique aimait tenter la provocation avec les autres félins afin des les tester, mais elle n’en venait jamais aux griffes, à moins qu’elle ne fasse pas le premier geste. Bien sûr, si l’on se jetait sur elle, la femelle à la fourrure rousse n’hésiterai pas une seule seconde à se défendre à coups de crocs et de griffes aiguisés.
En face d’elle, Secret du Passé lui semblait quelque peu méfiante, mais pas agressive, une chance pour elle. Et de toute manière, la rivière qui les séparait était un atout de plus pour la féline. Sans oublier que la guerrière de nuit venait depuis peu d’être sacrée guerrière comme il l’avait été annoncé à l’une des précédentes Assemblées, une ou peut-être deux lunes auparavant. A vrai dire, elle ne comptait pas. Elle n’y accordait que peu d’importance.

« - Si, c'est pour cela que je viens voir si personne n'est entré de ce côté de la rivière. »

Son calme se faisait nettement ressentir dans sa voix, tout comme dans celle de Mélopée Angélique qui remarquait que elle aussi, jouait avec l’ironie. La guerrière rousse avait drôlement envie de continuer sur ce jeu là, elle aimait bien. Mais il ne fallait pas non plus que cette soudaine ironie provoque des tensions inquiétantes. Et Mélopée Angélique saurait comment résoudre cela de toute manière.

« - Attention, peut-être suis-je accompagnée de félins qui auraient déjà envahis les Rochers du Soleil. »

Cela l’amusait. Elle espérait d’ailleurs qu’il en était tout autant pour la guerrière adverse avec qui elle s’était toujours bien entendu au cours des Assemblées. Bien sûr, il n’y avait rien d’amical désormais, cela devait sûrement être un simple respect mutuel et un petit peu de courtoisie, des banalités en somme.

L’ironie. Mélopée Angélique en était devenue maîtresse désormais, depuis le décès de son père. Elle jouait souvent avec le feu désormais, osant facilement mettre sa vie en danger. Certes, son père n’aurait pas aimé qu’elle agisse ainsi, mais elle n’y pouvait rien, elle ne parvenait plus à garder le contrôle d’elle-même, si bien que depuis son départ, elle avait faillit mourir une fois déjà. Elle n’était plus elle-même, elle s’éloignait peu à peu du droit chemin qui lui était destiné. Peut-être qu’un chat bon et humble parviendrait à la ramener sur ce sentir magnifique qui menait à une belle destinée.
Mais ce n’était sûrement pas la femelle qui se tenait face à elle.

« Non, il n’y a pas d’odeur de poisson de ce côté-ci de la rivière. »

Une idée fulgurante lui vint alors en tête. Une idée qui arriverait peut-être aux oreilles de son meneur et qui l’énerverait un peu, lui et ses faux airs de félin abattu par la douleur. Une lueur de défi illumina ses prunelles d’ambre, et elle lança alors à la femelle ébène :

« Ne crois pas si bien dire. »

Aussitôt, elle plongea dans l’eau de nagea aussi vite qu’elle put avant de se retrouver sur la berge de l’autre côté de la frontière. Elle venait désormais d’empiéter un territoire, posant une patte sur les terres du Tonnerre. En position de combat, elle attendait avec impatience la réaction de la guerrière.

Mélopée Angélique était parée à l’attaque, les muscles bandés tout comme la guerrière ennemie. Elle était pourtant une camarade d’Assemblée en temps normal, mais la guerrière rousse n’avait rien de normal aujourd'hui. Elle avait du sang chaud, du sang furieux dans ses veines, une rage qu’elle ne parvenait à contenir. Et quoi de mieux que de s’en prendre à une femelle d’un autre clan pour apaiser sa colère ? Au mieux, elle aurait dû se confier, mais elle aurait eu trop de fierté pour avouer ce qu’elle avait sur le cœur. Et puis, qui l’écouterait ? Ou plutôt, qui laissera-t-elle l’écouter, elle qui était si méfiante envers ses adversaires et même se congénères.

« Le sang n'a pas à être versé pour une plaisanterie, je ne me battrais pas aujourd'hui, tant que ne me force pas la patte. »

La rouquine y vit alors une belle occasion de se défouler et de calmer ses ardeurs. Alors, d’un saut inattendu, elle s’attaque aussitôt à son opposante, griffes sorties et babines retroussées, les crocs grandement découverts. Mélopée Angélique perdit le contrôle d’elle-même et lui mordit férocement l’épaule gauche.