Surprit que sa sœur le demande de si bonne heure, le guerrier bicolore se leva doucement, ordonnant sans brusquer ses chatons de rester dans la pouponnière et qu'il serait bientôt de retour, puis il sortit d'un pas nonchalant pour venir trouver la guérisseuse assise au dehors de la tanière. Un pâle soleil emplissait la clairière de sa douce lumière, éblouissant pour un bref instant la vue du matou qui plissa les paupières afin de protéger sa rétine. Une fois que ses prunelles sombres se furent habitué à la clarté du jour, le jeune guerrier se redressa pour croiser le regard mécontent de la femelle grise.

« - Que se passe t-il ? Nuage d'Étincelles est malade ? Elle s'est blessée ? » demanda Masque du Trèfle avec un brin d'inquiétude dans la voix.

À ce moment, le mâle blanc aux extrémités gris fit une constatation personnelle. Pour la toute première fois depuis son baptême, le cas de son apprentie lui traversait enfin l'esprit. Étais-ce pour cela que sa sœur le convoquait ? Pour le réprimander ? Et bien, le jeune blafard ne tarda pas à obtenir sa réponse.

Cantique Astral, bien que guérisseuse du Clan du Tonnerre depuis peu, tenait la situation du clan aussi à cœur que n'importe quel autre guerrier. Même les situations les plus anodines semblaient la mettre hors d'elle, mais son but n'était surement pas de semer le trouble dans l'esprit des félins égarés, plutôt de les remettre sur la bonne voie comme elle tentait de le faire maintenant avec son propre frère. Masque du Trèfle et elle se connaissaient depuis la naissance, depuis qu'ils avaient tout deux ouvert les yeux dans la grotte sur la montagne, loin de ces terres et de ces coutumes qu'ils connaissent aujourd'hui. Malgré leur âge similaire, Cantique Astral avait toujours été plus mature que le matou bicolore, d'un esprit emplit de sagesse et de bon sens. Malheureusement pour Masque du Trèfle, il avait hériter du côté naïf de sa famille. Certes il connait de grande chose que les chats de clans ignorent, il peut paraître sage lui-aussi, mais à sa façon. Abandonner son apprentie comme il l'avait fait, relevait plus de la stupidité que de la raison, mais comment rester censé lorsque notre cœur est brisé par le chagrin, notre âme dévoré par les ténèbres et notre corps noyé dans ses propres larmes. Le guerrier avait tout perdu, selon lui. Tout ce dont à quoi il tenait comme la prunelle de ses yeux. Avec le décès de sa compagne, son monde tout entier s'était écroulé, le laissant dans le deuil avec une lourde responsabilité à porter, deux chatons à élever seul. Ce que le matou ne semblait pas encore comprendre ou du moins prêt à voir la réalité en face, c'est que tout le clan était là pour le soutenir, sa sœur la première. C'est elle qui avait trouver une reine volontaire pour s'occuper des petits, elle qui l'avait soutenue encore et encore, jour après jour sans jamais montrer ne serais-ce qu'une trace de tristesse. En restant enfermé dans sa cage de verre, dans un monde sombre, Masque du Trèfle avait en quelque sorte renier son clan, mais il n'arrivait pas à le voir de cette manière. Pour lui, c'était l'inverse. Le clan l'avait laissé tomber, ainsi que le Clan des Étoiles. Il avait sans doute fait quelque chose de mal, très mal, pour mériter ce destin funeste... Sa pensée se tournait de plus en plus vers la folie. Combien de fois avait-il voulu égorger Nocturne des Océans pour des histoires passés ? Ce matou noir qu'il mettait responsable pour la mort de sa bien-aimée, qui s'était toujours acharné sur eux deux comme un chien fou et que même après la disparition de Mélopée Sahélienne, ne trahissait aucune émotion. La vue du pelage sombre du grand guerrier rendait le mâle blanc et gris malade. Sa fourrure se gonflait comme les épines d'un porc-épic, ses griffes fendaient la terre avec fureur et son regard bleu givré se glaçait comme la pierre à chaque fois qu'il croisait le matou. Masque du Trèfle faisait de son mieux pour ne pas sauter à la gorge du noiraud, mais parfois avec tout les problèmes qu'il éprouvait, il ne s'en serait pas priver de lui fracasser la mâchoire à grand coup de griffe.

« - Justement ! J’ai remarquée que tu ne la considère pas comme ton apprentie et pourtant Étoile Merveilleuse te l’a confiée. Pourquoi tu ne t’occupes pas de Nuage d’Étincelles ? Elle ne se fait pratiquement plus confiance depuis... » miaula la femelle argentée à l'intention de son frère.

Sa voix familière ramena Masque du Trèfle à la réalité, la dure réalité qu'il tentait en vain d'échapper. Un peu confus par la question qu'elle lui avait posée, le guerrier ouvrit la mâchoire sans mot dire avant de détourner le regard pour tourner sept fois sans langue dans sa gueule afin de bien choisir ses mots, mais quand il releva la tête pour parler, son regard plissé s'assombrit comme le ciel au-dessus de leurs têtes.

« - Si ça t'inquiète tant que ça, pourquoi ne pas dire à Étoile Merveilleuse qu'elle nomme un nouveau mentor pour Nuage d'Étincelles !? À mon avis, ce serais mieux que de laisser un matou sans cœur dans mon genre se charger de son éducation, non !? » feula avec rage le mâle blanc aux extrémités gris avant de tourner le dos à la guérisseuse.

Il s'apprêtait à retourner à la pouponnière auprès de ses petits, sûr que ses paroles avaient été entendu de sa sœur et qu'elle finirait par laisser tomber, mais contrairement à ses espérances la femelle plus que déterminée se contentait de dire d'un ton neutre et solennel :

« - Je ne le ferais pas. Je te fais trop confiance pour ça. Nuage d’Étincelles aussi et Étoile Merveilleuse te fait plus confiance que moi. Il y a des chats qui te font confiance alors oublis les autres qui sont idéaliste. »

En parlant, la chatte argentée s'était approchée de lui, venant presque frôler sa fourrure blanc crème de la sienne tigré, mais le matou fit un bond de côté ; les yeux réduient à deux fentes menaçantes et les crocs à découvert.

« - Ça n'as rien à voir avec la confiance ni même les autres, tu comprends ça ? C'est de moi que l'on parle ! Je n'ai jamais voulu d'une apprentie ! Je n'ai rien demandé à personne moi ! Alors sois raisonnable et fou-moi la paix ! Laisse-moi gérer ma propre vie et toi, va gérer celle de tes plantes minables ! » feula le matou en toisant durement la guérisseuse qui tentait de l'apaiser du regard, inébranlable de la tête aux pattes.

« - Non. Tu sais quoi ? Oublie ce que j'ai dis. » ajouta Masque du Trèfle d'un air renfrogné. « - J'aurais mieux fait de mourir ce jour-là, comme ça je n'aurais jamais eu à endurer tout ça ! Je serais au moins partie en héro pour avoir sauvé des chatons d'une mort certaine, pas comme ceci ! J'espère que tu prendras soin de Petit Espoir et Petite Utopie... »

Sur ces mots, le mâle crème fit encore une fois demi-tour ; une véritable girouette celui-là, puis il s'enfonçait dans le tunnel d'ajonc à la course sans se retourner une dernière fois. Il courait, courait, encore et encore, à en perdre haleine. Traversant fourrés et bosquets, sa course débouchait bientôt dans la combe sablonneuse, l'arbre des chouettes, puis la frontière qu'il franchit sans une seule interrogation. Il s'aventura sur les terres du Clan du Vent où il disparut derrière les collines sans laisser d'autres traces derrière lui que son odeur éventé.