La pouponnière semblait bien calme et ça depuis trop longtemps à mon goût. Je m'éveillais donc lentement, découvrant une tanière vide, sans chatons turbulents pour l'animer. Il ne restait que moi et Fleur Céleste. Tout les autres étaient déjà partie jouer au dehors, même ma propre sœur Petite Utopie. Elle devait surement se bagarrer encore une fois avec Petit Diable et Patte de Poudre ou se plaindre que Petite Nuit et Petit Ange ne lui laisse jamais de chance. Ah cette Petite Utopie ! Toujours à se plaindre en fait. Je m'étirais longuement, poussant mes pattes postérieurs contre le flanc de Fleur Céleste qui hoqueta de surprise.

« - Bien bonjour Petit Espoir. Bien dormis ? » me demanda t-elle en ronronnant.

« - Comme un loir ! » lui répondis-je en sautant sur mes quatre pattes. « - Où sont les autres ? » lui demandai-je à mon tour en inspectant les moindres recoin de la pouponnière.

« - Ils sont dehors. Nuage de Flamme s'occupe de Petit Diable et Patte de Poudre tandis que Nuage d'Étincelles surveille Petite Utopie. Si tu souhaites les rejoindre tu as beau. » répondit-elle en souriant doucement.

« - Et Petite Nuit et Petit Ange ? » poursuivi-je en remarquant également leur absence.

« - Je crois qu'ils sont avec Éclat de Rose près du promontoire. Tu peux tout aussi bien aller les voir et jouer avec eux, mais n'oublie pas de leur préciser qu'ils fassent un peu plus attention que la dernière fois. Je ne voudrais pas être obliger de faire appel à Cantique Astral une nouvelle fois. » recommanda Fleur Céleste en venant lécher mon oreille.

Elle avait raison ; je me souvenais encore de l'accident où Petite Nuit et Petit Ange s'étaient chamailler et m'avait malencontreusement écrasé dans leur chute. À ce moment là, j'étais encore si petit que je m'étais mis à pleurer. Fleur Céleste craignait que je ne sois blessé, mais au final je n'avais rien. N'étant pas ses petits, j'avais remarquer ce détail chez la reine ; elle était surprotectrice avec moi et ma sœur et ça depuis notre naissance. J'étais même surpris de savoir Petite Utopie seule avec Nuage d'Étincelles, mais qu'en serait-il de moi ? J'étais toujours prisonnier de la pouponnière et des larges pattes de la reine. C'est alors que j’eus une idée de génie.

« - Dis Fleur Céleste, je peux sortir moi-aussi ? » hasardai-je.

« - Bien sûr. Attends-moi j'arrive. » répondit-elle en tendant les muscles pour se lever.

« - Non. Ce n'est pas la peine. » crachai-je d'un ton sec. « - Je peux y aller seul. Je suis grand maintenant et je connais toutes les règles par cœur. Interdiction de sortir du camp. Interdiction de s'éloigner de la pouponnière. Interdiction de jeu dangereux. » énumérai-je pour la convaincre, mais elle resta perplexe.

Son regard trahissait son angoisse, puis en relevant les yeux, elle hélas un guerrier qui passait justement devant la pouponnière. Le matou gris tigré de noir s'arrêta devant l'entrée et attendit avec interrogation que Fleur Céleste ne s'approche.

« - Supplice d'Antan, tu tombes bien. Je voudrais que tu gardes un œil sur Petit Espoir ici présent. » demanda t-elle en me poussant à avancer vers le guerrier de sa queue. « - Tu peux bien faire ça pour moi ? »

Oh misère ! Au revoir liberté chérie !

Mes yeux se posèrent machinalement sur Petite Nuit et Petit Ange qui jouaient toujours sous le regard fier de leur mère, Éclat de Rose. Au moins eux n'avait pas à subir les contraintes désobligeantes des adultes. Ils pouvaient faire comme bon leur semble, sans jamais se soucier de désobéir ou pas. Normal lorsque nos parents sont respecté par l'ensemble du clan, quand notre père est le guerrier le plus vaillant et notre mère le lieutenant du clan. J'avoue les envier par moment, mais d'un autre côté, je sais ce que le clan attend d'eux ; deux jeunes guerriers forts et emplit de belles promesses suivant les traces de leur ascendance. Comme si la vie est déjà tracé dès notre naissance ? C'est ridicule. Si mes cousins ont envies de se détourner de la bonne voie à suivre, de fuguer, de devenir guérisseur, et bien qu'il en soit ainsi ! Nous sommes maître de notre destin après tout. Comme je suis seul maître de mes rêves. Supplice d'Antan se pencha au-dessus de moi, saisissant ma nuque entre ses mâchoires de la façon dont s'y prend une reine avec un nouveau-né ; ce que je suis loin d'être. Parfois les guerriers m'exaspèrent. Pfff. Ils nous prennent encore pour de simple bébé alors que nous sommes largement capable de marcher. Ils nous transportent tel de vulgaire souris et ne se soucie point de notre envie. Parfois, j'ai envie de leur griffer le museau. Je sors mes griffes et... Humpf. Eho ! Ça te traine doucement de peur de te faire mal, mais quand vient le moment de te déposer, il te lâche sauvagement ! Non mais ! Énervé, je me relève pour faire face au matou qui vient de me laisser tomber sur le sol, mais celui-ci ne me regarde même pas. À croire qu'il a mieux à faire que de jouer le babysitteur. Dans ce cas, qu'il s'en aille ! J'ai pas besoin de lui ! Ah tiens... il tourne la tête, me regarde enfin. Enfin ! Enfin ! Et parle.

« - Bon alors, qu'est-ce que tu veux faire ? » miaula t-il avec lassitude.
« - Si c'est si dur d'être en ma compagnie, je t'en prie, rejoins tes amis. »

Quel amis ? eus-je envie de hurler. Personne ne fais attention à moi, pas même toi ! Mais le penser intérieurement me suffit amplement. Je connaissais mal ce guerrier, pour l'avoir vu rarement. C'est alors que je me souvins qu'il était arrivé au clan peu après notre naissance à moi et Petite Utopie. Étais-ce un solitaire, un chat domestique ou encore pire un de ces vils guerriers du Clan de l'Ombre ? Cette idée me mit mal à l'aise. J'avais beau tenter de me mettre dans la tête qu'il n'était pas méchant, mais pour une raison que j'ignore, il me faisait toujours aussi peur.

« - Qui es-tu ? » demandai-je d'une voix presque inaudible.

« - Autrefois, je faisais partie du Clan de l'Ombre, mais je n'étais pas méchant, contrairement à certains de mes camarades. N'aie pas peur. Maintenant, je suis un guerrier à part entière du Clan du Tonnerre. » m'expliqua t-il.

Son hésitation m'avait fait croire que quelque chose clochait, comme si il regrettait que j'ai posé la question et qu'il cherchait une réponse sournoise pour me faire changer d'avis à son sujet, mais tous ce qu'il parvint à faire fut de confirmer mes pires craintes. Il faisait bien partie du Clan de l'Ombre, ce même clan qui avait envahi notre camp une lune avant ma venu au monde et qui avait failli enlever la vie de mon père et réussi à tué le compagnon de Fleur Céleste. Alors comment osait-il se montrer ici après tous cela ? Pourquoi ? Et Étoile Merveilleuse dans tous ça ? Pourquoi l'avait-elle accueillit à patte ouverte comme si il faisait partie des notre depuis toujours ? Je ne comprenais pas. Mon clan est-il aveugle à ce point pour ne pas voir que ce chat pourrait être un espion du Clan de l'Ombre venu pour tous nous tuer, nous misérables petits chatons sans défense ? Et bien, pas moi ! Dans un regain de confiance en soi, je redevins maître de mes émotions. Oubliant ma peur face au guerrier, je bondis sans prévenir devant lui, glissant entre ses pattes avant pour aller m'attaquer à l'une de ses postérieurs. Je le mordit agressivement pour me retrouver la gueule pleine de poils. Beurk. Je grimaçai en recrachant sa fourrure par touffe. Mes crocs n'avaient pas touché la chair. J'avais fait de moi un parfait idiot ! Mais qu'est-ce qui m'est passé par la tête pour croire que je pouvais le vaincre, bon sang !

« - Dis, on ne t'as pas apprit le respect envers tes aînés ? » gronda le guerrier.

Malgré son ton sérieux, son expression ne reflétait ni colère ni préemption et non plus de moquerie. J'avais beau avoir échoué ma tentative d'attaque, le matou gris ne semblait même pas en prendre compte. Perdu sans doute dans de profonde pensée ou tout simplement maître du camouflage de ses émotions, j'avais de la difficulté à lire dans son regard et à lui faire confiance. Le Clan de l'Ombre est redoutable ; ils sont les champions du mensonge et de l'escroquerie, alors comment leur faire confiance ? Comment LUI faire confiance ? Impossible. Même si il fait désormais partie "intégrante" du Clan du Tonnerre, je ne suis pas aveugle comme papa. Ce matou a beau dire ce qu'il veut, ses paroles ne changeront rien ; je ne suis pas dupe ! Je sentis mes sourcils se froncer par réflexe, mon regard le lorgnait avec mépris comme si c'était lui qui avait tenté de me mordre et non pas l'inverse. Du fond de mon être, je bouillais, d'une rage presque indescriptible et finalement j'osai répondre :

« - Je respecte mes aînés, mais toi, tu n'en fais pas partie et tu n'en feras jamais ! » feulai-je en montrant les crocs. « - Ton clan a failli tuer mon père durant la guerre et a tué le compagnon de Fleur Céleste, alors ne crois pas que je te dois un once de respect ! » poursuivi-je avec fureur avant de me rendre compte que ce que j'avançai à son sujet n'était pas juste. Et si il n'y était pour rien ? Et si il avait quitté le Clan de l'Ombre justement pour ces vies gaspillées sans raison valable ? Peut-être devrais-je commencer à me taire et écouter attentivement ? Cela m'empêcherait de faire des erreurs impardonnables à l'avenir.

« - Pourquoi toujours aborder ce sujet ? C'est du passé maintenant, il va falloir que tu oublies. Des guerres, il y en aura d'autres. Des blessés et des morts, il y en aura d'autres. Mais il faut vivre avec. Le Clan du Tonnerre m'a accepté parmi eux, il va falloir que tu fasses de même. Je suis désolé. » miaula le matou, toujours d'un air calme mais direct.

Pardon ?! fus-je outragé. Comment ose-t'il ? Je ne savais plus quoi répondre ; quoi lui lancer pour lui faire ravaler ses paroles à la rabâche. Ce guerrier commençait sérieusement à me taper sur les nerfs. À peine débarqué, il se comportait déjà comme les adultes de mon clan ; avec vanité et prestance ; ces traits même de caractère que je peinais à sentir de mes camarades. Plus je le regardais, plus il me rappelait Petit Diable ; cette espèce de boule de poils ingrate qui plait bien à ma sœur, mais pas à moi. Sous l'effet de la colère, je sentis mes muscles se raidirent, mes griffes se planter dans le sol gelé et ma mâchoire se contracter. J'aurais très bien pu retenter le coup, l'attaquer comme précédemment, mais la peur de devoir échouer à nouveau fini par me convaincre de laisser tomber.

« - Tu me demandes d'oublier, tout ? Absolument tout ?! Même ma mère ! » feulai-je sans réfléchir. « - Tu ne peux pas me demander cela ! » poursuivi-je les larmes aux yeux. « - Tu n'en as pas le droit ! » crachai-je en lui tournant le dos, insulté et blessé intérieurement par son égo de mâle du Clan de l'Ombre.

Quelle tête de mule ! Quel chaton ingrat ! Quel air buté ! devait-il se dire intérieurement. Tant pis ! Son avis ne m'intéresse pas, pas plus que celui des autres félins de mon clan. Qu'ils pensent ce que bon leur semble de moi, je ne changerai pour rien au monde ! Rien, vous m'entendez ? Pas même pour faire plaisir à Fleur Céleste ou à Masque du Trèfle ni à Petite Utopie. J'ai envie d'être désagréable, alors je le suis. C'est pas plus compliqué que cela. Dérouter les chats par ma simple présence m'amuse autant que les autres chatons peuvent s'amuser entre eux avec ces stupides boules de mousse. Moi, je n'ai pas besoin de matériel pour m'amuser, seulement un félin assez stupide pour m'écouter rabâcher n'importe quoi. Et puis, quoi qu'il en semble, ce n'est pas ma faute si je suis ainsi. C'est celle de mon père qui préfère largement ma sœur à moi ! Tout cela parce qu'elle ressemble à notre mère défunte. J'en paie le prix ; le prix fort.

« - Je t'ai dit d'oublier cette guerre, car ce n'est pas la dernière. Ta mère n'est pas morte durant ce combat, ça n'a rien à voir ! Bien sûr que tu ne dois pas l'oublier. Ne mélange pas mes paroles ! Sur ce, je te ramène à Fleur Céleste, j'en ai assez de tes caprices ! » feula le guerrier sans retenue.

Tiens, j'étais en train de l'oublier celui-là. Comment ai-je pu avec sa puanteur de chat du Clan de l'Ombre et son souffle chaud sur ma nuque ? Peut-être est-ce mieux ainsi ? Peut-être Est-ce assez, pour lui, mais pas pour moi. Il me prit dans sa gueule comme les adultes prennent les chatons pour se déplacer. À croire qu'ils en oublient que nous avons nous aussi des pattes pour marcher. Puis il m'emmena de nouveau dans ma prison dorée qu'est la pouponnière. Le guerrier me déposa un peu plus doucement sur le sol que la dernière fois et il miaula à l'intention de Fleur Céleste :

« - Il va falloir apprendre le respect, le recul et la gentillesse à ce chaton turbulent ! » pesta t-il avant de partir sans dire au revoir.

Je voyais bien dans les prunelles de ma mère adoptive qu'elle peinait à croire les paroles du matou. Tant mieux. Cela me donnait donc l'occasion de tourner la situation en ma faveur et non en la sienne en agissant comme un petit chaton apeuré. Je me collai contre la reine frissonnant faussement en l'implorant de ne plus jamais me laisser seul avec ce méchant chat et elle abdiqua en chatte ignorante qu'elle est.